Prendre l’Europe au sérieux

Les politiques se désespèrent. Les opinions publiques ne prennent pas l’Europe au sérieux. Au mieux, elles n’y comprennent rien. Au pis, elles n’y voient qu’un bouc émissaire. Déprimant. Mais qui leur montre l’exemple ?

Les politiques ne donnent pas envie d’Europe lorsqu’ils présentent des listes électorales si tardives, si proches de l’échéance, comme s’ils avaient mieux à faire. Ils n’élèvent pas le débat européen lorsqu’ils se focalisent sur des sujets de politicaillerie nationale. Ne parlons pas de ceux qui passent leur temps à accabler Bruxelles de maux qui relèvent de leurs fantasmes ou de leur impuissance.

Au fond, ceux qui ont le plus œuvré pour mettre en lumière l’importance de l’Europe, ce sont les responsables du Brexit. Ils espéraient simplement brasser du vent pour récolter une image de don Quichotte. Leurs moulins sont allés trop vite. La Grande-Bretagne est passée de cheval de Troie à girouette, déboussolée par sa propre tempête. Cette incapacité à rester ou à sortir, à choisir parmi tant de portes de sortie possibles, quelle publicité pour l’Europe ! Cette indécision devra bien finir. La Grande-Bretagne ne peut quand même pas garder un pied dans l’Europe sans présenter de listes aux élections qui viennent… Qu’elle sorte ou qu’elle reste, son embarras demeurera sa plus grande contribution à l’Union européenne, sa seule pierre apportée à l’édifice.

Depuis le Brexit, Marine Le Pen ne parle plus du Frexit. Jean-Luc Mélenchon a remballé l’idée de faire du pied à ceux que cette illusion excitait. Non, vraiment, ce Brexit calamiteux, c’est peut-être la meilleure des campagnes pour l’Union. De celles qui éviteront peut-être – de justesse – le pire aux prochaines élections.

Pour le reste, on ne voit pas bien comment les électeurs pourraient s’enthousiasmer pour ce qu’on leur propose. Surtout si on continue à penser l’enjeu des élections en termes nationaux.

Qu’on nous épargne les propos indigents et relativistes sur le voile, ou les chamailleries pour savoir qui a le plus trahi la gauche. Parlez-nous d’Europe, d’écologie, de régulation, de taxation, et surtout de vos alliances. Avec qui et contre qui ferez-vous l’Europe ? Comment allez-vous contrer l’Italie de Matteo Salvini et la Hongrie de Viktor Orban ? Comment résister à l’Amérique de Donald Trump et à la Russie de Vladimir Poutine ? Avec une armée enfin commune ? Comment faire pour que l’euro ne soit plus synonyme de baisse du pouvoir d’achat ? Quelle majorité pour mener ces politiques ? Celle du PPE qui veut une Europe libérale ou celle du PSE qui veut une Europe légèrement plus sociale ?

C’est un détail qui change tout. En France, La République en marche possède sa propre majorité. Elle peut maintenir le flou du « en même temps ». Au Parlement européen, elle devra bien s’allier à un groupe pour peser. Cette fois, il faut nous dire qui du libéralisme économique ou du progrès social l’emporte… PPE ou PSE ?

La question des alliances se pose, avec la même cruauté, à propos de La France insoumise. Elle qui ne veut jamais s’allier aux socialistes pour garder toute sa pureté… A quoi sert ce type de posture dans un Parlement européen qui repose sur des coalitions de gauche larges, enjambant les nations et les nuances, pour se regrouper sur l’essentiel ?

Si des candidats aux élections européennes veulent vraiment nous faire prendre ces élections au sérieux, ils doivent y croire eux-mêmes, porter les débats à la hauteur et à l’échelle du moment. Les grands ensembles supranationaux ne sont jamais sortis de terre « pour » quelque chose. C’est trop compliqué de vouloir tous la même Europe. On se regroupe toujours plus facilement « contre » ce que l’on ne veut pas. Une menace, un danger.

Dans les années qui viennent, il y a deux « contre » possibles pour l’Europe. Soit celle de tous « contre tous », de la remontée des nationalismes, qui la déchireront de l’intérieur et la feront imploser. Avec peut-être à sa tête Viktor Orban si sa suspension du PPE n’est pas prolongée par une exclusion. Et puis il y a le nous européen contre les autres. En l’occurrence, deux nations qui menacent notre destin et l’équilibre international : l’Amérique de Trump et la Russie de Poutine. Cette Europe-là peut faire contrepoids. Elle peut rétablir l’équilibre. Ce n’est plus une option mais une urgence. Et l’enjeu, profond, de ces élections.

 

PAR CAROLINE FOUREST
5 avril 2019