La Double Menace de Moscou

Dans ce monde troublé, multipolarisé, il arrive que plusieurs pyromanes mettent le feu, sans forcément se concerter, parfois simplement en soufflant sur l’autre brasier. Le Hamas est incontestablement responsable des attaques meurtrières du 7 octobre ayant conduit la communauté internationale à détourner les yeux de l’Ukraine, avant d’allumer une seconde guerre hypnotique à Gaza. 

Moscou en a profité. L’a-t-il, pour autant, souhaitée ? Seuls les complotistes peuvent l’affirmer sans avoir à le démontrer. Les rationalistes se contentent de noter que l’appareil de renseignement russe, malgré des liens privilégiés avec le Hamas, n’a officiellement rien vu venir ni alerté. Depuis, la Russie ne cesse de souffler sur les braises du Moyen-Orient, en accusant par exemple l’Europe de déshumaniser les Palestiniens dans ses journaux télévisés, afin d’inciter des Tchétchènes ou des Ingouches de son Caucase à nous frapper. Ce qui fait partie de sa guerre hybride. Et de son cynisme. 

Les démocraties sont plus civilisées. Lorsque les services de renseignement américains et européens ont vu l’État islamique s’agiter contre Moscou ou l’Iran, ils ont prévenu. Le régime russe a démantelé une cellule terroriste juste avant sa présidentielle fantoche. Un attentat non déjoué, à ce moment précis, aurait nui au Tsar. Une fois son triomphe assuré, la vigilance s’est relâchée. Dans un pays ultra-surveillé, quatre jihadistes ont pu arriver de Turquie, se balader avec des kalachnikov, entrer dans le Crocus City Hall et y commettre un bain de sang. 

Une preuve de plus, s’il en fallait, que les leaders nationalistes, censés priver leur peuple de liberté en échange d’une plus grande sécurité, ne sont même pas bons à ça ! Ni Poutine ni Nétanyahou. Mais Poutine, en prime, est capable de commettre des crimes sous faux drapeau pour justifier son emprise et ses guerres. On le sait, car il l’a déjà fait. C’est même ainsi qu’il a pris le pouvoir. Le FSB est fortement soupçonné d’avoir organisé une série d’attaques à la voiture piégée et à l’explosif, à l’aube des années 2000, pour justifier la seconde guerre de Tchétchénie l’ayant propulsé « homme de la situation » et dauphin d’Eltsine. 

Un ancien agent des services secrets russes, Alexandre Litvinenko, est mort, empoisonné au polonium, pour l’avoir dénoncé. Mais bien sûr, les trolls russes vous expliqueront que des opérations sous « faux drapeau » sont le fait des démocraties occidentales, qui ne peuvent se le permettre en raison d’une presse libre, et non du régime russe, qui se permet tout. Cela veut-il dire que Poutine est responsable de l’attentat du Crocus ? Non. L’État islamique le revendique, vidéos à l’appui. 

En revanche, le chef du Kremlin en a immédiatement profité pour accuser l’Ukraine, de façon grossière et mensongère. Kiev n’a aucun intérêt à ce massacre, qui ne lui ressemble en rien. Vladimir Poutine, lui, a tout intérêt à instrumentaliser ce drame pour justifier une colère de feu. Elle promet le pire.

Caroline Fourest

Franc Tireur, n°124