Jean Baubérot, militant féroce d’une laïcité accommodante (envers les sectes et les intégristes)

Jean Baubérot sans doute l’universitaire qui a le plus écrit et milité en faveur d’une « nouvelle laïcité ». Non pas concordataire ou papiste, mais accommo-dante, envers les minorités religieuses et les « nouveaux mouvements religieux ». 

Comme ses élèves, il ne dit jamais « sectes ». Dans ses livres, il rappelle que la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme pour « violation de la liberté de religion » des Témoins de Jéhovah, notamment suite à des redressements fiscaux, et consacre un chapitre entier à ironiser sur la lutte contre les sectes, perçue comme du « maccarthysme » : « Le domaine des groupements qualifiés de “sectes” est peut-être celui où la vulgate intégriste républicaine obtient le plus d’emprise. » 

On notera le goût pour le renversement de vocabulaire, typique de l’école Baubérot. L’universitaire répugne à parler d’« intégrisme » pour désigner le radicalisme religieux, mais l’emploie systématiquement pour désigner les « intégristes » laïques et républicain. Question de priorité. 

Pour mieux servir son projet, l’universitaire propage un mythe : celui d’une France apaisée, où les religions n’auraient plus d’appétit politique. La seule agressivité, le seul danger, viendrait de la laïcité « antireligeuse », « répressive » et « militante », qui veut « imposer une sécularisation complète ». Les raisons qui favorisent un tel retour de l’attachement à la laïcité sont évacuées en une ligne. Elles ne mentionnent ni l’intégrisme ni le terrorisme, même après les attentats de janvier 2015. 

Cet aveuglement ne serait pas si grave si l’universitaire n’avait pas occupé, pendant seize ans, l’une des rares chaires consacrées à la laïcité en France : «Histoire et sociologie de la laïcité» à la section « Sciences religieuses » de l’École pratique des hautes études.

Son approche arrange alors formidablement les affaires de la gauche au pouvoir, qui vient d’enterrer le projet Savary et doit le faire accepter aux laïques. Elle a besoin d’un intellectuel pour habiller son renoncement en modernité. Ce sera Jean Baubérot.

Sa chaire d’« Histoire et de sociologie du protestantisme » est opportunément transformée en chaire d’«Histoire et sociologie de la laïcité». Un poste prestigieux, taillé sur mesure, qui lui permet d’être présenté comme l’« historien de la laïcité », d’exercer un quasi-monopole universitaire, d’influencer les principaux décideurs du Parti socialiste et même de favoriser la fameuse dérive de la Ligue de l’enseignement.

Lui-même reconnaît avoir approché cette dernière dans une optique militante : « J’ai pris contact avec la Ligue en 1985, précisément parce qu’elle m’apparaissait opérer un tournant suite à l’échec de 1984. » Depuis, le tournant a bien été pris. Aux militants de la Ligue qui le lui reprochent, il écrit : « Toutes les personnes de la Ligue, qui m’ont demandé de travailler avec elles, étaient parfaitement au courant de ma position.» Quelle position ? Celle que Jeanne Favret-Saada qualifie de « néo-laïcité ». Sa lecture, juge l’anthropologue, sert au mieux à « promouvoir les religions », « au pire, à réviser la loi de 1905 ». 

C’est bien ce qui ressort de l’approche proposée, dès 1990, dans l’ouvrage Vers un nouveau pacte laïque ? Un rapport-manifeste conçu avec la Fédération protestante et la Ligue de l’enseignement. Son projet est encore plus clair dans la Déclaration universelle sur la laïcité au xxie siècle, qu’il publie à l’occasion du centenaire de la loi de séparation. Elle propose de garantir l’« autonomie » de l’État « à l’égard de toute religion et conviction », tout en prévoyant la possibilité d’« accommodements religieux » sur le modèle canadien… Sa vraie source d’inspiration. 

Dans Une laïcité interculturelle. Le Québec, avenir de la France ?, paru en 2008, Jean Baubérot, admirateur inconditionnel du Québec, plaide ouvertement pour l’importation d’une « laïcité d’inclusion » allant jusqu’aux accommodements dits raisonnables : « L’accommodement raisonnable rend possible une sortie de l’alternative désastreuse du “tout ou rien”, face aux demandes des minorités. » Et tant pis si ce modèle est justement en crise, critiqué pour ses dérogations au respect de l’égalité hommes-femmes au nom du religieux… Comme ce YMCA donnant sur la rue et qui a fini par givrer ses vitres pour ne pas perturber des Juifs ultra-orthodoxes, visiblement troublés par la vue de femmes faisant du vélo d’appartement.

Des Canadiennes et la presse s’en sont émues. Jean Baubérot, lui, ne voit pas où est le problème. Homme de terrain, il nous raconte sa conversation autour d’un café avec une jeune Canadienne, qu’il décrit comme « élancée et à la tenue sexy », auprès de qui il tente de comprendre en quoi cela est si choquant. La femme voit…, l’universitaire ne voit pas. Il compare le fait de givrer cette vitre pour cacher le corps de femmes au fait d’avoir autorisé les femmes à se balader torse nu, comme les hommes, dans les rues de Montréal. Alors qu’il s’agit… de l’exact opposé. Dans un cas, nous parlons d’une mesure visant à cacher le corps des femmes et uniquement leur corps. Dans un autre, il s’agit de banaliser le corps de tous. Dans un cas, on sert l’inégalité. Dans l’autre, on rétablit l’égalité. Mais le féminisme n’est pas la boussole intellectuelle de Jean Baubérot, surtout attaché à la liberté religieuse. Il ne cache pas qu’il comprend mieux les revendications des militantes canadiennes voilées de Présence musulmane. Comme elles, il caricature ces polémiques sur les accommodements religieux et les assimile à de faux débats à relents racistes. 

En toute logique, Jean Baubérot préfère fréquenter les fondamentalistes et les mouvements sectaires que les « intégristes républicains ». Il intervient très régulièrement au congrès annuel de l’UOIF, dont il attribue la mauvaise image au fait d’être « diabolisée dans les médias ». 

À l’en croire, l’islam politique « non modéré » et rétrograde ne serait pas intégriste, ni même communautariste, contrairement au « communautarisme républicain » et à son « double jeu » (sic). Très critique envers Charlie Hebdo, il reproche à l’hebdomadaire de mélanger la laïcité et « la dénonciation de la religion ». En réalité, c’est lui qui mélange tout. Puisque Charlie Hebdo critique la religion au titre de la liberté d’opinion et défend la laïcité comme principe d’organisation. Quand il prétend « parler de laïcité aux enfants » dans un livre coécrit avec la très anti-Charlie et très pro-voile Rokhaya Diallo, ses ouvrages sont presque tous destinés à critiquer la loi de mars 2004 sur les signes religieux ostensibles comme une loi « d’exception », voulue par l’« intégrisme républicain ». 

Extrait de Génie de la laïcité, Grasset-Poche, 2016.