Il aura donc suffi de quelques députés pour empêcher le droit de mourir dans la dignité, pourtant souhaité par 96 % des Français.
Quel paradoxe. Dans un pays où la démocratie souffre du manque de pouvoir du Parlement, il aura suffi d’un quarteron de députés LR et d’une obstruction acharnée – 3 000 amendements – pour empêcher le droit de mourir dans la dignité, souhaité par 96 % des Français.
Dans un pays toujours plus droitier, la tribune d’un Michel Houellebecq agitant le spectre d’une décadence civilisationnelle aura ravi. Comme si la civilisation consistait à préférer l’agonie à la liberté. À en croire l’écrivain, la souffrance n’existe plus. Il suffirait d’un peu de morphine pour tout régler. Il existe pourtant des cas où l’agonie se prolonge, où le corps s’habitue, où la douleur triomphe. Le député à l’origine de cette proposition de loi, Olivier Falorni, a vu sa mère souffrir jusqu’au bout.
Un peu loin de ces réalités, de beaux esprits nous expliquent qu’il suffit d’invoquer la loi Leonetti ou de montrer une directive anticipée pour que les équipes médicales abrègent vos tourments. On leur souhaite de ne jamais vivre cet enfer dans un hôpital de Vendée.
Bien sûr, si vous en avez les moyens, vous pouvez vous exiler et vous éteindre doucement au Luxembourg, en Suisse ou en Belgique. Ce n’est pas à la portée de tous. Sur LCI, l’aimable Barbara Lefebvre ne voit pas le problème : « Quand on vous annonce une maladie incurable, vous n’êtes pas encore en état végétatif, eh bien, vous sautez d’un pont ! » La civilisation, on vous dit… Et ceux qui ne peuvent marcher jusqu’au pont ?
En l’absence de règles claires, on peut mourir dans la souffrance ou paisiblement, selon son revenu, le département et l’hôpital dont on dépend. Est-ce digne d’un pays civilisé ?
Chaque année, en France, des euthanasies sont discrètement pratiquées. Pourquoi ne pas s’en contenter ? Parce que les médecins qui soulagent risquent la prison. Parce que les familles ne sont pas toujours d’accord, comme les parents de Vincent Lambert.
Il aura fallu sept ans de bataille judiciaire et un jugement de la Cour européenne des droits de l’homme pour que l’on cesse d’alimenter de force ce corps sans conscience. Un acharnement qui a laissé une empreinte terrible sur l’âme des vivants qui l’aimaient.
La loi Falorni pouvait éviter ces drames. Alors que 256 députés de tous bords ont voté son article premier, un petit groupe de dogmatiques, faisant obstruction, a décidé – pour nous tous – que l’agonie devait durer.
Si le gouvernement le souhaitait, il pourrait programmer un débat en bonne et due forme. Tétanisé par l’obstruction de la droite catholique, Emmanuel Macron se tait.
Et notre ministre de la Santé, épuisé par le combat contre le coronavirus, ne se sent pas de débattre d’euthanasie au moment où la « mort est omniprésente ». C’est pourtant le même souffle qui nous porte à rêver d’un hôpital digne de ce nom, capable de nous protéger de la maladie et de la souffrance sans espoir.
Caroline Fourest, Marianne, 16/4/2021
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