Tous les goûts sont dans la campagne

A chaque élection, des citoyens se disent « déçus » par la campagne, qui ne correspond pas à leurs « attentes ». Une déception parfois invoquée pour ne pas voter. Cette posture est à la fois injuste et naïve. On la trouve, paradoxalement, chez ceux qui idéalisent le vote et la démocratie. Comme s’il s’agissait d’élire le père ou la mère de la Nation idéale, voire un quasi-Dieu.

Mieux vaut se désinscrire tout de suite des listes électorales. Car le « Dieu » politique n’existe pas. Nous ne votons pas pour le candidat parfait, mais pour le moins imparfait. Au regard de l’époque et des enjeux du moment. Mais voilà bien le drame. Ceux qui s’annoncent sont immenses. Ils semblent exiger des qualités héroïques, voire des super-pouvoirs qui n’existent chez aucun être seul.

Le vrai reproche que l’on peut faire à cette campagne, Jacques Attali a raison, est de minimiser le gouffre économique et l’urgence des solutions internationales et européennes. Parce qu’il s’agit de mauvaises nouvelles et qu’elles échappent au seul vote français.

Nous avons parlé de la crise et de la dette, plus qu’à n’importe quelle autre élection. Rarement les journalistes économiques ont occupé une telle place : celle d’un rappel salutaire à l’ordre, au graphique et au chiffrage. Mais nous sommes encore loin du compte. A l’image de deux manifestes en cours – « Roosevelt 2012 » et celui pour une « Euro-fédération solidaire et démocratique » -, nous ressentons la nécessité d’un « New Deal », d’un plan de redressement d’une ambition rare, qui secoue tous les leviers, tout en distribuant l’effort et les richesses. Mais Roosevelt est mort, et il faut bien élire un vivant… Si possible un médecin. A qui nous ferons confiance pour opérer. Encercler la tumeur sans charcuter. Préserver les fonctions vitales tout en relançant la circulation sanguine. Le scalpel étant sculpté par nos votes.

Ceux qui disent ne pas trouver leur bonheur parmi les outils sur la table sont de mauvaise foi. Peu de démocraties peuvent se vanter d’aligner un tel nuancier. Dix candidats allant du bleu foncé au rouge vif en passant par le vert, le blanc et l’orange. Dix réglages possibles.

Des enveloppes bleues

Ethno-nationaliste-autoritaire ou souveraino-gaullien, américano ou communisto-compatible, europhile ou europhobe, germano-suiviste ou germano-sceptique, antilibéral ou anticapitaliste, républicain révolutionnaire ou révolutionnaire post-démocratique. Des candidats raisonnables mais timides, d’autres vibrants mais démagogues. Nous avons même des candidats antiparlementaristes, voire hostiles à l’élection présidentielle. Des « ni ni », qui n’aiment ni les uns ni les autres. D’autres qui se présentent uniquement pour préparer le troisième tour social. Et pour ceux qui trouvent ces débats encore trop terrestres ou la crise trop grave, il y en a un qui prépare la fuite vers Mars.

C’est dire si tous les goûts sont dans la nature, ou plutôt dans cette campagne. Il n’y a donc aucune excuse pour aller aux champignons le jour du vote. Et toutes les raisons de se rappeler qu’ailleurs certains versent du sang pour pouvoir voter librement et avoir un jour le doigt bleu. Les électeurs français n’auront pas besoin du même courage. Des enveloppes bleues les attendent, au chaud, devant l’isoloir.

Caroline Fourest

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5 réflexions sur “Tous les goûts sont dans la campagne

  1. Moi, je vais aller voter. Je choisirais un candidat qui me correspond. Mais je ne sais pas encore lequel de mes caractères est-ce que je jugerais le plus important : le fait d’être blanc, ou celui d’être nul :D.

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  2. Madame,

    Je veux vous exprimer mes respects pour les videos que je vois sur youtube. Quelques gens tout de même, y laissent des commentaires sensés dénotant des esprits éduqués.
    En ce qui concerne l’islamisation (port du voile, le cas T. Ramadan, etc), on dirait que certains interviewers de plateau se précipitent à l’assaut en écoutant à peine ce que vous disez. Il y a quelques instants, j’ai été surpris d’observer que Eric Zemmour, pendant l’animation de Nolleau, ne se mettait pas plutôt de votre côté. Sur un autre video, ou une canadienne vous questionne sur le port du voile intégral, j’ai vu que c’est un des moments, pas si fréquents finalement, où une personne comme elle vous présente les questions posément.
    Enfin, ce qui concerne votre choix sexuel est présenté parfois avec une grande lâcheté (Nolleau, tout à l’heure), vous assaillant de façon grossière en combinant cette question avec un commentaire sur un choix intellectuel ou politique.
    J’ai reçu une éducation d’extrême-droite (grand-père officier supérieur sur les territoires coloniaux avant leur abandon), mais je connaîs aussi très bien les gens de gauche, mon père sud-américain, qui était une personnalité dans le milieu médical latino-américain, était de gauche, de même que quantité de parents, dont ma soeur, qui a vécu presque toute sa vie en Amérique du Sud et fit vers la fin des ’70s un stage d’endoctrinement en Union Soviétique comme d’autres parents proches de la même génération sud-américains.
    Ma mère (fille de mon grand-père officier) s’exprimait d’une façon qui ressemblait à la vôtre. Elle était très énergique et avait aussi une instruction, ce qui n’est pas toujours le cas des animateurs de plateau, et encore considérablement moins celui des gens qui laissent des absurdités à la suite de vos videos (…!).
    Je suis sûr que quantité de gens ont un sentiment allant dans le même sens que le mien après avoir vu une certaine quantité de vos passages sur Internet. Que ce témoignage soit l’expression de cette solidarité, ce remerciement et cette admiration.

    O.H.

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  3. Merci et bravo pour cette position claire, au milieu des débats et des positions confuses (plantuses) qui tendent à renvoyer dos à dos les deux fronts. Un vote utile en l’occurence, cela peut être de participer à la baisse d’influence du lepénisme. Dommage que vous ne chroniquiez pas aussi dans Libé de ce samedi, qui s’empresse de recommander que seul le vote pour Hollande serait utile…
    Par ailleurs, je viens de suivre la discussion que vous avez eu avec la journaliste d’Arrêt sur Images, et j’admire la rigueur et l’énergie avec lesquelles vous débattez.

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  4. Bonjour,

    Je (re)découvre votre blog après une (nouvelle) recherche sur internet sur le Front National, et ce billet me fait réagir. C’est vrai qu’il y avait un large éventail de candidats lors de ce premier tour, mais… combien comptaient réellement ? À mon grand regret, j’ai bien peur de devoir répondre : quatre — et encore, seulement si on s’intéresse au duel FN – FdG pour la troisième place. Si le parti qui représente le mieux mes idées n’a aucune chance d’accéder au second tour, à quoi bon s’y intéresser ? De toutes façons, ça devait finir (tout le monde nous le disait) par un duel Hollande-Sarkozy. Et c’est bien ce qui s’est produit. Mais ce choix représente-t-il vraiment celui des électeurs ? On peut en douter.

    C’est la troisième élection présidentielle depuis ma majorité, et plus le temps passe, moins je trouve de mérites à ce mode de scrutin. Dès 2002, j’avais pu lire (je crois que c’était dans « Pour la science ») des articles qui en montraient les limites. Cette année, j’ai pu participer sur internet à l’expérience du « vote de valeur » portée par une association, en collaboration avec des scientifiques, qui proposait de tester le mode de scrutin éponyme. En bref il s’agissait simplement de « noter » chacun des candidats, le vainqueur étant celui qui obtenait la plus forte moyenne.

    C’est un système que je trouve très intéressant. Sans être parfait (les recherchent qui montrent les limites de notre mode de scrutin montrent aussi que le mode de scrutin parfait n’existe de toutes façons pas), il me semble largement préférable : il permettrait de voter, sans trop se poser la question lancinante du vote « utile », en exprimant simplement son opinion des différents candidats.

    Selon ses promoteurs, ce mode de scrutin aurait une foule d’avantages, et je dois dire que je les trouve assez convaincants. Ce système donnerait ainsi plus de poids aux « petits » partis, qui se trouvent marginalisés par la bi-polarisation actuelle. En renforçant leur poids électoral, il renforcerait sans doute aussi leur poids médiatique. C’est toute la campagne qui pourrait s’en trouver changée.

    Et puis ce système aurait l’avantage de donner à un parti comme le FN une place qui reflète mieux sa position dans le paysage politique français. La troisième place obtenue lors du premier tour dimanche dernier me semble complètement aberrante : il n’est pas normal, par exemple, que Marine Le Pen se retrouve si loin devant François Bayrou, quand un duel entre ces deux-là verrait sans aucun doute la victoire du centriste avec un score Chiraquien. Sans minimiser le nombre d’électeurs qui ont lacé Marine Le Pen en tête, je considère de plus en plus cette troisième place, et l’exposition médiatique qui l’accompagne, comme un artefact indésirable de notre mode de scrutin.

    Bref. L’expérience sur internet a réuni cette année plus de dix mille participants, sans compter les expériences similaires menées dans quelques bureaux de vote. Les résultats ne seront connus qu’après le second tour, mais je vous encourage, et les lecteurs de ce blog, à aller visiter le site qui est très bien fait et documenté (avec notamment les résultats d’expériences similaires menées avec d’autres modes de scrutin lors des élections précédentes.) Voici l’adresse : http://www.votedevaleur.org

    Cordialement,

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  5. Caroline Fourest, je comprends votre optimimisme mais en Tunisie je crois que nos doigts bleus ne puissent plus rien face au tsunami salafiste. Les plus chanceux d’entre nous tenterons l’exil, les autres seront soumis a des fous qui se sont radicalisés en Europe.

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