Le tournant laïque d’Emmanuel Macron ?

 

Alors que ses annonces ont déçu sur le plan social, le président de la République a tenu un discours régalien qui a le mérite de clarifier sa position sur la laïcité : « La loi de 1905 est notre pilier, pertinente, fruit de bataille. Elle doit être renforcée et appliquée. » Il a même nommé ceux qui la menacent : « Aujourd’hui, nous ne devons pas nous masquer : quand on parle de laïcité, on ne parle pas vraiment de laïcité mais du communautarisme qui s’est installé dans certains quartiers de la République. […] On parle des gens qui au nom d’une religion poursuivent un projet politique, celui d’un islam politique qui veut faire sécession avec notre République. »

Il n’en fallait pas plus pour que La France insoumise y voie un clin d’œil à l’extrême droite. Un amalgame dangereux, entre vigilance laïque et racisme. L’appel du pied se trouve plus loin. Lorsque le président a annoncé un débat annuel sur l’immigration. Comme s’il n’avait pas lieu toute l’année et ne partait pas déjà dans tous les sens. Sur la laïcité, au contraire, la clarté présidentielle a le mérite de couper l’herbe sous le pied des extrémistes. Ce n’était peut-être pas le lieu, ni le moment, plutôt celui de répondre aux « gilets jaunes ». Mais, comme il doit rassembler les républicains des deux rives, ceux qui seront toujours du parti de la République face au chaos, ce n’était pas superflu. D’autant que le président les inquiétait sur ces sujets.

Pendant sa campagne et les premiers mois de son mandat, il a plus souvent dénoncé la « radicalisation » de la laïcité que celle des intégristes. Tout en encourageant l’Eglise à « aller au bout de sa vocation », y compris sur les questions temporelles, il n’a cessé de minimiser les atteintes à la laïcité. Jusqu’à redouter un « réveil laïque qui tend à faire du camp laïque une religion ». Une approche qui pouvait donner le sentiment d’hésiter entre la « laïcité d’ouverture » façon Paul Ricœur et la « laïcité ouverte » façon Jean Baubérot. Le discours de l’autre soir marque un coup d’arrêt, en levant cette ambiguïté. Dans son discours aux intellectuels, quelques semaines plus tôt, Emmanuel Macron avait déjà pris le temps de dessiner une vision plus précise des enjeux de la séparation. En expliquant qu’il croyait à la laïcité comme « cadre » et non comme « religion ». Tout en précisant qu’il ne voulait ni l’ouvrir ni la fermer : « La laïcité n’a pas d’adjectif. » Ce qui va toujours mieux en le disant. Le vrai tournant est ailleurs. Il n’est pas philosophique mais politique.

Tant qu’il devait se démarquer de Manuel Valls, Emmanuel Macron insistait beaucoup sur le risque d’une certaine radicalisation de la laïcité. Il existe. Lorsque certains veulent aller jusqu’à interdire le voile à l’université, sur la plage ou dans la rue. Ce que le président a raison de refuser. Son tort était de minimiser la montée de l’intégrisme et le recul, bien réel, de la sécularisation. Cette cécité semble cesser.

Lors de cette rencontre avec des intellectuels, Emmanuel Macron s’est alarmé de voir des enfants juifs quitter l’école publique par peur de l’antisémitisme. Il a nommé le défi du « communautarisme », porté par des groupes « qui ont une vision très conservatrice et de type politique de l’islam », comme « les frères musulmans ou les salafistes ».

Un danger pris au sérieux : « Toute immixtion dans ce qui est de l’ordre de l’Etat ou de l’organisation d’une société du fait de la religion ne peut être acceptée. » C’est notamment le cas lorsqu’un « islam consulaire » s’immisce dans nos affaires au point d’entraver l’intégration. « Pour se parler franchement, a ajouté le président, nous avons un vrai sujet avec la Turquie. » Une alerte qui a du cran.

C’est un bon point, assurément. Cette clarification va rassurer les républicains des deux rives. Elle ne suffira pas à convaincre les républicains de gauche. Emmanuel Macron est-il vraiment déterminé à protéger les intérêts de l’Etat contre tous les particularismes, religieux ou financier ? S’il persiste à vouloir privatiser Aéroports de Paris, une entreprise de service public stratégique qui ne perd pas d’argent, son discours risque de sonner creux. Les questions régaliennes méritent, absolument, d’être réaffirmées. Elles ne peuvent masquer l’urgence de protéger l’Etat contre les intérêts privés.

Caroline Fourest

Marianne

3 mai 2019