L’effet Papillon

Il suffit d’un battement d’aile pour changer de monde. Des tours s’effondrent à Manhattan et nous prenons conscience du danger terroriste. Lehman Brothers s’écroule et nous réalisons les ravages de l’emprise financière. Un peuple se lève et nous marchons vers une nouvelle ère Nord-Sud. Un coeur entre en fusion et nous rêvons d’une ère moins nucléaire.

En moins de dix ans, notre monde a connu quatre ruptures majeures. Elles sont physiques pour leurs acteurs ou leurs victimes, mentales et psychologiques pour les autres. Elles n’en sont pas moins soudaines et décisives pour tous.

La mondialisation de l’information est aussi celle des prises de conscience. Par identifications successives. Aux peuples américain, tunisien, égyptien, libyen et maintenant japonais. Chaque élan nous transforme. A la vitesse de l’éclair, d’un avion, d’une cotation en Bourse, d’un tsunami. Celui qui vient de frapper le Japon nous secoue comme un séisme. De tristesse pour cet Archipel si unique. D’admiration pour ce peuple si digne. D’inquiétude pour ces hommes et ces femmes en train de livrer bataille contre le pire des ennemis. D’effroi devant ces monstres en fusion, dont nous somme si dépendants, et que nous avons laissé construire à portée nos failles.

Le fait que le scénario du pire se déroule dans le Pacifique – avec le risque de voir le nuage radioactif voyager au gré des vents vers la Russie, les Etats-Unis ou la Chine – devrait accélérer cette prise de conscience. Du moins, on l’espère. L’ex-Union soviétique a déjà connu le pire avec Tchernobyl. Les Etats-Unis ont frôlé ce risque en 1979. La Chine le touche du doigt pour la première fois.

Il existe comme un jeu de miroir entre ce géant et son ennemi juré. La Chine porte un regard particulier sur cet îlot capitaliste, insolent de réussite et de technologie. Qui dit contre-modèle dit forcément un peu modèle. Aujourd’hui, ce modèle vole en éclats. Ces éclats risquent de contaminer un peuple chinois inquiet. La censure du gouvernement sur les mots-clés « risque nucléaire » n’y changera rien. Il peut quadriller le Web, pas dresser des gardes-frontières face à un nuage radioactif. Son peuple lui en voudra de lui cacher cette vérité. Une de trop. Sous la pression de ce nuage, le gouvernement chinois va devoir méditer le concept d' »harmonie » si cher à Confucius. Entre l’homme, le progrès et la nature. Voire reconsidérer son mode de développement. Ce n’est pas rien venant d’une si grande puissance.

C’est au niveau des transitions concrètes que le monde ne peut changer si vite. Depuis le 11-Septembre et maintenant le 11 mars 2011, chacun mesure le risque d’une dépendance aux hydrocarbures et au nucléaire. Et après ? Comment sortir des deux à la fois sans exploser le coût de la vie, déjà si chère depuis la crise financière ?

En Libye non plus, il n’existait pas d’option idéale. Tout le monde aurait souhaité voir le peuple libyen se libérer sans aide. Mais le colonel Kadhafi a triché, en bombardant son peuple à l’aide d’avions pilotés par des mercenaires. Face à une telle folie, l’ONU se trouvait devant un choix compliqué : réhabiliter le droit de « protéger » les populations prévu par sa charte, avec tous les risques que cela comporte, ou mourir de n’avoir plus aucune raison d’être. C’est la première option qui l’a emporté. Grâce au volontarisme français, mais aussi à la Ligue arabe et à l’Organisation de la conférence islamique, qui ont soutenu très tôt cette résolution. Sans que les Russes ou les Chinois ne s’y opposent. « Nous avons le sentiment qu’il faut agir », a déclaré le représentant chinois après le vote au Conseil de sécurité. Le même, il y a deux ans, revendiquait des droits de l’homme à la carte. Son « non veto » ouvre une ère tout à fait nouvelle. En un vote, un battement d’aile. Maintenant, le plus délicat commence.

Caroline Fourest

Article paru dans l’édition du Monde du 19.03.11