Saint-Pierre et ses brebis galeuses

swisstxt20090204_10287051_2L’un des quatre évêques intégristes réintégrés par Benoît XVI, Mgr Williamson, est ouvertement négationniste. Qui peut feindre la surprise ? Il ne s’agit pas d’une première. Mais de l’énième main tendue à l’extrême droite anti-Vatican II, intolérante et antisémite, sous prétexte de retrouver l' »unité de l’Eglise ». Cette « unité » est rarement invoquée pour réhabiliter les théologiens de la libération excommuniés, ou même pour adoucir l’amertume des catholiques de gauche placardisés.

Entre la tentation moderniste et la tentation intégriste, le nouveau pape préfère combattre la première et courir après la seconde. La Fraternité Saint Pie X n’a jamais caché son enthousiasme : « C’est un pape traditionaliste ! » Le compliment est exagéré mais mérité.

Benoît XVI aura fait plus de concessions en quatre ans que Jean Paul II en vingt-sept. Réhabilitation de la messe en latin, que l’on peut désormais célébrer comme « rite propre », messes tournées vers l’Orient et non plus vers les fidèles, réhabilitation de la prière pour la conversion des Juifs, réaffirmation du dogme au détriment de l’oecuménisme… Vatican II, ce « concile inspiré par le diable », selon l’expression lefebvriste consacrée, est en lambeaux. Presque tous les voeux de ses détracteurs ont été exaucés. Il ne restait plus qu’une exigence pour sceller la réconciliation : la remise en cause de l’excommunication des quatre évêques ordonnés par Mgr Lefebvre. Voilà qui est fait.

Bernard Fellay, l’un des quatre évêques réintégrés, étant le successeur de Lefebvre, sa Fraternité entre dans le giron de l’Eglise. Or elle compte bien d’autres brebis galeuses que Richard Williamson. Bernard Tissier de Mallerais, également réintégré, a fait partie du comité d’honneur de l’Union des nations de l’Europe chrétienne, au côté de membres du Front national. L’organisation avait l’habitude de se rendre à Auschwitz pour célébrer le « plus grand génocide de tous les temps ». Non pas celui des Juifs, bien sûr. Mais celui des foetus avortés.

L’Eglise parisienne de la Fraternité, Saint-Nicolas-du-Chardonnet organise volontiers des offices à la mémoire d’écrivains négationnistes comme Maurice Bardèche. Son ancien curé, Philippe Laguérie, grand admirateur du milicien Paul Touvier, fait partie des toutes premières brebis traditionalistes réintégrées par Benoît XVI, grâce à un Institut dit du « Bon pasteur » taillé sur mesure. D’où il a pu baptiser un enfant de Dieudonné à la demande de son parrain, Jean-Marie Le Pen. Persuadé que les Juifs exercent une forme de « dictature » à travers la « banque et les médias », le bon pasteur est hostile à toute forme de dialogue avec le judaïsme : « On ne flirte pas avec cette secte ! »

Ces discours extrémistes n’ont rien d’exceptionnel parmi les nouveaux soldats du pape. Les catholiques traditionalistes rejettent souvent l’oecuménisme de Vatican II par nostalgie pour l’antijudaïsme chrétien, ce bon vieux temps où l’on pouvait prier pour l’âme du juif déïcide. Leurs militants français s’inscrivent donc logiquement dans la plus pure tradition maurrassienne. Certes, d’autres catholiques ouvertement d’extrême droite, comme Bernard Antony, de Chrétienté-solidarité (élu FN), ou don Gérard Calvet, du monastère du Barroux, se sont ralliés à l’Eglise du temps de Jean Paul II.

Mais à l’époque, quand le monastère du Barroux se remettait à prier pour le « Juif perfide », cela faisait désordre et le Vatican intervenait. Aujourd’hui, la prière pour la conversion des juifs est parfaitement tolérée. Sa formulation a été atténuée mais son esprit restauré.

Les rabbins italiens qui ont osé protester contre cette prière se sont vus sèchement éconduits par le Cardinal Kasper, pourtant chargé du dialogue interreligieux : « De notre point de vue, elle est tout à fait correcte sur le plan théologique. C’est simplement difficile pour les Juifs de l’accepter. »

Le ton du « dialogue » est donné.

Caroline Fourest

11 réflexions sur “Saint-Pierre et ses brebis galeuses

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  2. Vos propos sont très justes ; je les approuve entièrement.
    Je complèterai peut-être d’une autre évocation : celle du pape-chef d’état.
    Territorialement, le Vatican n’est pas grand-chose mais l’église est toujours structurée comme un état, l’organigramme de l’église est le même que celui de l’empire romain au temps de Constantin. Dans cette optique, le pape ne peut envisager de perdre un seul diocèse, fût-il source de problèmes. Pour lui, le pire est la sécession. Mais, comme le pape est un chef d’état sans police ni armée, il n’a pas d’autre moyen de faire rentrer les sécessionnistes dans le rang que de tolérer leurs activités.
    Là où il n’est pas cohérent, c’est lorsqu’il choisit quels diocèses doivent bénéficier de ce traitement et lesquels peuvent être abandonnés. Considérer que les lefebvristes sont plus indispensables à l’église que les tenants de la théologie de la libération, c’est faire un choix lourd de sens, retourner à ses premières amours de « Panzer-Cardinal ». A l’opposé de ses intentions premières, Benoît XVI vient de planter les racines d’un schisme beaucoup plus important que celui de Mgr Lefebvre. Les cathos investis dans le dialogue inter-religieux ou des mouvements tiers-mondistes vont devoir, eux aussi, choisir. L’église n’en sortira pas crédibilisée ni renforcée.

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  3. vous avez oublié d’évoquer son hostilité envers l’islam ( ou bien c’est peut être parce que vous pensez qu’on ne peut avoir que de la haine envers l’islam)

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    • @ Delavolpe : Et non cher Delavolpe, je considère pas comme normal que l’on puisse haïr l’Islam… Vous auriez la réponse en ouvrant ne serait-ce qu’un de mes livres, où je fais toujours la distinction entre le droit de critiquer toute religion et l’incitation à la haine.

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  4. Tenez, par exemple, votre conclusion est fautive car ces rabbins italiens ont sûrement oublié de rappeler au Cardinal Kasper qu’il existe dans les prières quotidiennes juives une bénédiction contre tous les hérétiques, y compris donc contre les chrétiens dont la traduction est:

    « Pour les hérétiques et les délateurs, qu’il n’y ait pas d’espoir. Que tous les scélérats soient anéantis instantanément, que tous les ennemis et ceux qui te haïssent disparaissent rapidement. Que le règne de la méchanceté soit rapidement déraciné, brisé. Achève-les, soumets-les, sans tarder, de nos jours. Sois béni, ô Eternel, qui brise les ennemis et soumet les hérétiques. »

    Et c’est tout aussi correct, (car l’argument du Cardinal Kasper est bon) sur le plan théologique que la prière pour la conversion du Juif perfide. Parce que la prière ne s’adresse qu’à Dieu et jamais aux hommes et ne constitue ainsi en rien un programme, disons, politique.

    La théologie, Caroline Fourest, est la meilleure arme du laïc. Si vous la négligez, vous vous affaiblirez. Votre combat n’est sûrement pas d’interdire aux fidèles de prier, il est de rendre à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu.

    Ce qui reste en soi très apostolique…

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    • @ Nicolas. Je ne suis pas vraiment une fidèle de Benoît XVI mais cela n’interdit pas l’honnêteté intellectuelle. Ratzinger a été enrôlé dans les jeunesses hitlériennes comme la plupart des jeunes allemands de son âge, sa famille catholique était plutôt anti-nazis… Le problème n’est donc pas là, mais dans sa bienveillance et les concessions faites à l’égard des traditionalistes anti-Vatican II. Et l’injure ne sert à rien.

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  5. Hier soir, j’ai eu la chance de vous entendre sur France Inter : votre analyse sur la différence entre Jean-Paul II et Benoît XVI, l’un à la recherche de l’œcuménisme et l’autre enclin au repli catholique face à la montée des autres religions (musulmans et évangélistes) me semble d’une très grande pertinence.
    Merci pour cette analyse et votre discours d’une grande clarté. Même s’il m’arrive de ne pas être toujours d’accord avec vos positions, j’apprécie énormément vos interventions.

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  6. Bien sûr, les conditions de l’enrôlement de Ratzinger dans les jeunesses hitlériennes sont assez connues pour ne pas lui en faire le reproche. Mais selon un vieux dicton « si tu ne veux pas être battu, ne vas pas toi-même chercher les bâtons pour te faire battre ». En montrant une telle aménité à l’endroit des cathos d’extrême-droite, il devait bien s’attendre à ce que son passé lui soit jeté à la face.
    Tipanda

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  7. La FSSPX n’est pas d’extrême droite, cessez de toujours vouloir faire entrer les personnes dans des catégories politiques.

    Nous, fidèles attachés au rite saint-Pie V ( forme extraordinaire du rite romain) – je suis pour ma part FSSP- avons une certaine idée de la France, celle d’une France éternelle, d’une France fille aînée de l’Eglise, d’une France terre de Chrétienté, ce qu’elle est, mais nous ne sommes pas pour autant d’extrême droite.

    Les plus extrémistes aujourd’hui les progressistes qui sont parfois aussi modernistes.

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