À propos du burkini et du grotesque

burkini2

Les arrêtés pris par la mairie de Cannes et d’autres mairies de droite du sud pour interdire le burkini, juste après l’attentat de Nice, ont fait sourire Outre-manche et Outre-Atlantique. En France aussi, beaucoup y ont vu une polémique dérisoire, preuve d’une focalisation aberrante sur l’Islam. Il est vrai que la démarche interroge quand elle vient de maires se souciant des droits des femmes l’été, à la plage, mais soutenant les mouvements intégristes ayant retiré les enfants des écoles en raison de programmes voulant les sensibiliser aux stéréotypes de genres le reste de l’année…

La plage n’est pas l’école. Les nageuses ne sont pas des élèves ni des mineures. Refuser qu’on se couvre la tête dans un lieu civique, d’éducation à la citoyenneté et à l’égalité, est une chose. Obliger quelqu’un à se dévoiler dans un lieu de plaisance est plus excessif, sauf bien sûr s’il s’agit d’une plage privée qui possède un règlement.

L’interdiction est plus justifiée dans les bassins de piscine où chacun est censé respecter une tenue réglementaire, relevant de la décence ou de l’hygiène. Les hommes, par exemple, n’ont pas le droit de se baigner en short long. Les femmes n’ont pas le droit de se baigner seins nus. Pourquoi ceux qui invoquent la religion seraient-ils les seuls à pouvoir obtenir des aménagements ?

En revanche, interdire le burkini à la plage, alors que d’autres s’y baignent habillés, n’est pas très cohérent, ni très efficace. Comme pour le voile à l’université, ceux qui croient pouvoir faire reculer la mode intégriste en l’interdisant partout se trompent. Ils obtiendront l’effet contraire à celui recherché : faciliter la propagande victimaire et donc la mode du burkini chez les plus jeunes ou les plus influençables.

Dans tous les cas, qu’on soit pour ou contre l’interdiction, rien ne justifie de sombrer dans l’excès consistant à faciliter cette propagande — en se solidarisant avec ces signes régressifs et sexistes, comme s’il s’agissait d’objets sacrés ou de piliers de l’Islam. Edwy Plenel a battu tous les records d’indécence en publiant sur Mediapart un articlesur le Burkini intitulé « un vêtement comme les autres », et en tweetant une photos de nageuses en costume de petits baigneurs datant de la Belle époque, il y a plus d’un siècle, avec cette légende : « Bains de mer habillés en France (sans musulmanes). Liberté des corps = liberté des vêtures. » Ce qui revient à mettre un mouchoir sur un siècle de libération, Mai 68 et le MLF compris, pour défendre la réaction… Car il s’est passé un micro-détail depuis le début du vingtième siècle : la libération des femmes et des corps justement. Soutenir le fait de couvrir les corps des femmes comme s’il s’agissait d’une « liberté » et non d’un retour en arrière témoigne d’un esprit profondément réactionnaire, qu’aucun progressiste ne peut soutenir sans trahir son profond machisme orientaliste.

Toute personne un tantinet féministe ou simplement inquiet du radicalisme se sentirait mal à l’aise à l’idée de se baigner à côté d’une femme ou d’un groupe de femmes en burkini. Porter ce maillot intégriste sur la plage revient à dire aux autres qu’ils sont indécents ou que leur semi-nudité vous obsède. Fatigant. Quand on va à la mer, c’est pour se détendre, pas pour se prendre les problèmes psychologiques ou les convictions idéologiques des autres en pleine figure. Si quelqu’un est si mal à l’aise avec son corps et croit en la pudeur, il peut tout simplement éviter de se baigner en public et choisir des espaces plus pudiques… Comme une piscine privée ou sa baignoire.

Si ces nageuses persistent dans l’incohérence, sans vouloir l’interdire sur la plage, on a bien le droit de se lever pour aller se baigner ailleurs voire d’envoyer à son tour un message : en optant pour le nudisme.

Caroline Fourest

À paraître: « Génie de la laïcité » chez Grasset, le 12 octobre