Après Cologne : déni ou mépris du féminisme ?

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Cette semaine Caroline, vous dénoncez une certaine tendance à exagérer le déni des féministes françaises sur les violences de Cologne… Comme si leur prétendu silence arrangeait les plus conservateurs souhaitant incarner à eux seuls la lucidité.

Nous sommes plus de trois semaines après le sinistre réveillon de Cologne. Et la dénonciation persistante d’un déni — qui a existé en Allemagne mais beaucoup moins en France — se prend parfois une tournure douteuse. En tout cas lorsqu’elle vient d’intellectuels ou des éditorialistes d’habitude hostiles aux féministes. Ceux qui nous expliquent dans d’autres contextes, comme la polémique sur les ABCD de l’égalité ou la question du genre, combien le féminisme détruit la civilisation… Et qui sur Cologne nous donneraient presque des leçons de féminisme civilisationnel.

Je ne fais évidement pas partie de ces féministes complexées qui pensent qu’on doit taire ou minimiser le caractère profondément choquant, massif et régressif de ce qui s’est passé à Cologne. Mais aussi en Suède et dans d’autres villes d’Allemagne. J’ai parlé de  « chasse aux femmes » à ce micro la semaine dernière. Tellement ces scènes terribles nous rappellent celles de la Place Tahrir. Et procèdent d’une domination masculine, pas uniquement mais particulièrement débridée au sud de la Méditerranée. Ce qui représente un défi majeur pour nos acquis. Qu’il ne faut pas le taire par peur du racisme. Au contraire, il faut parler. Pour couvrir la voix des racistes. Et je ne suis absolument pas la seule féministe à le dire. Ni Elisabeth Badinter. D’autres féministes, nombreuses, le disent. Clairement et sans détour.

À notre micro, nous recevions aussi Michelle Perrot et Wassyla Tamzali, qui ont également dénoncé ce qui s’est passé à Cologne…

Bien d’autres l’ont dénoncé. Valérie Toranian, Djemila Benhabib, Marieme Helie Lucas ou encore les FEMEN. Un mouvement qui se bat justement pour le droit des femmes à occuper l’espace public. Quitte à se faire tabasser ou insulter, avec une violence inouïe, par des réseaux qui nous donnent aujourd’hui des leçons de féminisme sur Cologne.

Ce n’est pas un paradoxe. C’est un aveu. Les machistes préfèrent logiquement cogner sur les féministes et leur déni, soi-disant généralisé, que de s’épancher sur la source du mal : le machisme. Avec un peu de mauvaise foi, on va bien finir par nous expliquer que toute la gauche se résume à ces postures antiracistes embarrassées piétinant les droits des femmes au nom du « Pas d’amalgame ».

C’est assez insupportable quand on appartient à l’autre gauche. Celle des 92% toujours Charlie. Quand on a soutenu Ni putes ni soumises, le droit de publier des caricatures sur Mahomet. Quand on se bat depuis des années aux côtés de féministes du Maghreb et du Moyen-Orient contre le voile. C’est plus particulièrement pénible quand on a écrit des dizaines de livres dénonçant le relativisme culturel et la tentation obscurantiste de son propre camp. Des mots et un combat repris, dix ans plus tard, par des éditorialistes conservateurs… qui se gardent bien de rappeler que l’alerte venait, en premier, de progressistes.

Vous pensez que la gauche française a mieux résisté à la tentation du déni que d’autres pays européens ?

Un peu mieux oui. Contrairement à beaucoup de gauches européennes, une grande partie de la gauche française n’a jamais abandonné le combat des femmes ni celui de la laïcité. Au prix de se faire traiter d’islamophobe, de se faire huer et pour certains de se faire tuer…

On ne peut pas en dire autant de d’éditorialistes défendant la domination masculine et le retour au sacré toute l’année, sauf si les agresseurs sont immigrés ou musulmans. Je pense au silence embarrassé qui a par exemple entouré la sortie d’un livre de deux féministes catholiques, Maud Amandier et Alice Chablis, sur l’ « Eglise et l’égalité des sexes ». Le livre, ironiquement, s’appelait le « déni ».

Ce déni-là n’empêche pas de dénoncer l’autre déni, les tweets effectivement ahurissants de trois féministes sur Cologne. Il ne les autorise pas pour autant à réduire l’ensemble du féminisme voire toute la gauche à cette posture. Cette réduction n’est pas neutre. Il s’agit d’effacer cette gauche féministe et laïque, lucide, qui dérange. Pour mieux dégager l’horizon. Pour permettre un face-à-face commode entre une gauche aveugle au sexisme sous prétexte de ne pas faire monter le racisme et une droite décomplexée prête à confisquer la défense de l’égalité, qu’elle méprise en réalité, pour brandir son vrai drapeau : celui de l’identité… et de l’honneur viril bafoué.

Dans les années qui viennent, le vrai courage intellectuel sera de refuser ce match viril qui menace. Et qui commence par faire sortir les féministes lucides du terrain. Car elles veulent réellement protéger notre espace et notre débat public du retour, poli ou sauvage, de la domination masculine.

Caroline Fourest

 

Une réflexion sur “Après Cologne : déni ou mépris du féminisme ?

  1. je m’étonne que mediapart qui organise 6 heures pour la liberté à grenoble avec pour intervenants marwan mohamed du ccif et siham assbague porte parole de tarek ramadan – je tremble pour nos libertés – comment peut-on confondre et donner des tribunes à des islamistes pareils qui n’ont comme vocation défendre les projets les plus fondamentalistes .

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