Les effets indésirables de la déchéance de nationalité

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La mesure ne concernera que de très rares cas. Elle n’aura aucun effet dissuasif ou préventif en matière de lutte contre le terrorisme… Seulement des effets pervers.

Le premier, souligné par Marc Trévidic, est de prendre le risque que d’autres pays nous imitent. Qu’ils se débarrassent eux aussi de leurs terroristes ayant la nationalité française. Nous en récupérerions bien plus que nous ne pourrions en expulser.

Le second effet indésirable est de fracturer. Non pas le pays, qui soutient largement cette mesure, mais la gauche.

Elle ne peut avaler une mesure aussi symbolique sans tousser. Et elle tousse, fort. Quitte à passer pour angélique et à se couper un peu plus de l’opinion. Il y a pourtant de nombreuses voix à droite qui toussent également. Patrick Devedjian, par exemple, n’y voit que des inconvénients. Mais venant de la droite, ce n’est jamais perçu comme de l’angélisme, plutôt comme un supplément d’âme.

C’est donc la gauche qui va s’épuiser à s’opposer à cette mesure que les Français trouvent plutôt légitime au regard de l’état de guerre dans lequel le terrorisme nous a plongés.

Défendre le droit du sol

Malgré ce contexte terrible, cette mesure d’exception fragilise un droit fondamental et permanent : le droit du sol. Elle donne le sentiment aux binationaux d’être visés. Elle convoque aussi la mémoire traumatisée de ceux qui ont une histoire familiale hantée par la chasse aux mauvais citoyens, qu’ils soient Arméniens ou Juifs.

La comparaison avec Vichy est pourtant hasardeuse, pour ne pas dire honteuse. Faut-il rappeler que sous Vichy, les milliers de Juifs déchus de leur nationalité l’étaient par racisme… Et non pour terrorisme. Si la déchéance de nationalité a souvent été prononcée sous Vichy, elle possède une histoire autrement plus républicaine. Puisqu’elle est née en 1848, pour viser les Français continuant à pratiquer la traite négrière malgré l’abolition de l’esclavage.

En Belgique, la déchéance a permis d’éloigner Léon Degrelle, condamné à mort par contumace pour sa collaboration aux crimes nazis, et qui a fini par prendre la nationalité espagnole après de longues tractations entre les autorités belges et le régime franquiste.

Une extension à ne pas constitutionnaliser

La déchéance de nationalité n’est donc pas, en soi, toujours honteuse. Des députés de gauche l’ont même proposée, il n’y a pas si longtemps, pour les binationaux, franco-belges ou franco-suisses, pratiquant l’évasion fiscale…

Il faut aussi rappeler, comme le fait Patrick Weil dans Rue89, que cette déchéance existe déjà dans notre code civil depuis 1938 et peut viser tout Français se comportant, en fait, comme le national d’un autre pays. Ce qui visait à l’époque surtout les soutiens du régime nazi.

Patrick Weil se dit farouchement opposé à ce que l’on constitutionnalise une interprétation aussi large et, de fait, potentiellement dangereuse. Comme bien d’autres voix. Car cette mesure n’apporte rien de bon. Si ce n’est de la discorde et des passions inutiles. Pourtant le gouvernement persiste et signe.

Une obstination politique

Au moment du Congrès de Versailles, le président de la République a voulu tendre la main à tous les partis, entendre toutes les propositions. Le bracelet électronique pour les fiches S ou la déchéance de nationalité pour des terroristes nés français. Une mesure que ne voulait pas seulement le FN mais aussi la droite.

Une fois l’émotion passée, le gouvernement avait le droit de faire l’inventaire. Il n’a pas retenu cette idée absurde consistant à mettre un bracelet électronique à toutes les personnes fichées S (que l’on veut souvent surveiller à leur insu !). Il pouvait expliquer pourquoi il n’irait pas non plus jusqu’à programmer cette mesure démagogique et à haut risque dans la Constitution.

Mais l’opposition s’est mise à hurler. On a crié au reniement. Ajoutez à cela que 94% des Français soutiennent cette mesure. Observez les scores du Front national, comparez-les à ceux de la gauche de la gauche, et vous comprendrez pourquoi le président a préféré affronter une tempête à sa gauche plutôt qu’à sa droite.

Pour ne pas se dédire et prolonger son image de gouvernement d’union nationale. Celui qui sait entendre le pays et dépasser son étiquette partisane et gouverner au centre, comme le lui demandent une majorité des Français.

Une meilleure option : « la dégradation républicaine »

Dans un pays moins traumatisé ou capable de meilleur compromis, une autre mesure aurait pu faire consensus, tout en étant plus efficace.

Celle que suggère un proche de Manuel Valls en charge d’un rapport sur l’indignité nationale : le député Jean-Jacques Urvoas. Citant l’historien du droit, Jean-Louis Halpérin, il est convaincu que la meilleure voie reste la « dégradation républicaine ».

Déjà possible pour les meurtres avec viol ou torture sur mineurs ou en bande organisée, elle peut être assortie de la perte des droits civiques et d’une peine de prison à perpétuité incompressible. Ce qui ne concernerait pas seulement quelques binationaux, mais l’ensemble des Français condamnés définitivement pour terrorisme.

Il est peut-être encore temps d’y songer. Si des parlementaires de droite et de gauche voulaient bien se donner la main, ils pourraient l’imposer au gouvernement et mettre ce garde-fou que le Conseil d’État n’a pas posé.

Ce serait un signe de vitalité et d’une maturité démocratique et parlementaire plutôt rassurante. Mais sans doute légèrement illusoire.

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