Le civisme plutôt que l’état d’urgence

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Un état d’urgence, par définition, n’est pas fait pour durer. Même dans une démocratie attaquée, il doit rester une mesure d’exception.

On ne peut pas vivre éternellement en état d’alerte rouge. Il faut bien lever l’état d’urgence entre deux risques imminents, sinon il perd son sens. Et un gouvernement n’a plus de mesure forte et symbolique à annoncer en cas de nouvelle attaque.

Pourtant, sans attendre la fin de la date butoir actée dans le consensus à Versailles, le président de la République et le Premier ministre ont tous deux laissé penser que l’état d’urgence ne serait pas levé au bout de trois mois.

Une annonce prématurée 

Ces affaires-là sont bien plus faciles à juger depuis le fauteuil confortable du commentateur que depuis le siège de ceux en charge de nous protéger.

Reste qu’annoncer la prolongation de l’état d’urgence, alors qu’il court toujours et fait de moins en moins consensus, prend le risque de fragiliser l’unité politique autour de cette mesure, d’une exceptionelle fermeté.

On comprend le risque politique. Le jour où le gouvernement a le cran de lever l’état d’urgence et qu’un attentat nous frappe à nouveau, l’opposition, la droite et l’extrême droite, hurleront à l’irresponsabilité criminelle. Elles demanderont la démission du gouvernement. Et des citoyens penseront que le gouvernement a sous-estimé la menace.

Pourtant, l’état d’urgence ne permet pas forcément de prévenir les attentats. C’est surtout la qualité du renseignement qui est décisive. Et nos lois normales, ordinaires, permettent d’arrêter un groupe soupçonné d’attaque terroriste imminente.

L’état d’urgence permet surtout d’assigner à résidence des suspects, de faciliter des perquisitions ou d’interdire des manifestations difficiles à sécuriser.

Si l’on comprend les perquisitions des premiers jours pour trouver des armes, elles ont moins de sens dans la durée, une fois l’effet de surprise passé. Elles prennent aussi le risque de dérapages policiers qui nuiront au consensus ils ont aussi besoin pour enquêter.

Les assignations à résidence ne peuvent pas non plus durer. Plusieurs personnes visées par ces mesures liberticides préventives portent plainte et obtiennent gain de cause.

Dans la durée, il vaut mieux poursuivre les individus qui tiennent des propos incitant à la haine ou au terrorisme. Et les surveiller s’ils peuvent mener à un groupe terroriste. Mais cela demande beaucoup de moyens, on le sait. Quand ces ressources manquent, l’état d’urgence permet sans doute d’y pallier. Au détriment du fonctionnement souhaitable de notre démocratie : le droit à la présomption d’innoncence, la liberté de circuler ou le droit fondamental à manifester. D’où la briéveté souhaitable de l’état d’urgence.

Mais il y a un autre aspect, à la fois symbolique et politique, qui rend sa prolongation indéfinie très délicate.

L’état d’urgence rappelle les couvre-feu de l’époque coloniale. C’est donc un puissant levier de propagande contre la République, que ne se privent pas d’utiliser les islamistes et les organisations victimaires leur faisant la courte-échelle. Parfois avec la complicité d’organisation bien plus respectables défendant les droits de l’homme.

Des organisations des droits de l’homme inaudibles

Elles sont dans leur rôle, bien sûr, en dénonçant l’état d’urgence. Mais leurs alertes s’entendent moins lorsqu’elles donnent l’impression de protester de façon pavlovienne, sans tenir compte du contexte.

De nombreux militants des droits de l’homme dénonçaient déjà un « Patriot Act à la française » quand l’état d’urgence n’existait pas et qu’aucune mesure sérieuse n’était prise contre le terrorisme. Aujourd’hui que ce risque de dérive existe, elles dénoncent l’état d’urgence en compagnie d’organisation islamistes ou pro-islamistes, qui passent leur temps à trouver des excuses aux fanatiques.

Pas seulement parce que des organisations comme la Ligue des droits de l’Homme sont composées d’avocats qui ont défendu les terroristes algériens et collaborent depuis des années avec des militants proches des Frères musulmans.

Aussi parce que ces organisations, comme la LDH ou Amnesty, ont été pensées pour tenir tête aux Etats, et non aux groupes totalitaires ou terroristes. Or si l’on juge un Etat à sa réaction, sans intégrer le danger auquel il fait face, on se retrouve dans la posture, un peu théâtrale, de dénoncer un Etat qui se défend… En oubliant de dénoncer ceux qui présentent un danger liberticide encore plus grand.

Ce n’est pas pour rien si ces dénonciations ne portent pas.

Il y aurait pourtant matière à un vrai consensus républicain autour d’un état d’urgence de trois mois, sans prolongation, sauf en cas de nouvel attentat. Mais cela demanderait un peu de civisme et une vraie maturité démocratique.

En sommes-nous capables ? C’est une question, pour une fois, qu’il ne faut pas seulement adresser à nos gouvernants.

La déchéance de nationalité

Déchoir de sa nationalité un terroriste né en France ayant la double nationalité pose question. François Hollande a eu raison de l’évoquer à Versailles, pour montrer qu’il était prêt à écouter tous les partis et à tout envisager. Une fois l’émotion passée, la raison commande de rappeler que cette mesure ne vise quelques cas, rares, qu’elle n’aura pas vraiment d’effet sécuritaire, et qu’elle met en revanche gravement en danger notre conception du droit du sol.

On ne peut pas risquer, pour dix terroristes, d’ouvrir la porte à une sous-citoyenneté. Ni d’ouvrir la fenêtre aux mauvais vents de la surenchère politique.

Puisqu’il faut bien s’opposer, même à une gauche d’une très grande fermeté envers le terrorisme, Bernard Debré propose déjà de supprimer carrément le principe de la double nationalité.

Dans ce moment si particulier, le civisme et le sang froid sont décidément des vertus dont nous allons avoir besoin.

Caroline Fourest

Publication: 21/12/2015

Chronique à retrouver tous les lundis sur France Culture à 7h18.