La Crèche ou la paix

santons-Veilleurs

Un tribunal administratif a jugé illégal la crèche installée par le Conseil général de Vendée, conformément à la loi de 1905. Son article 2 interdit de financer et de privilégier un culte. Son article 28 dispose qu’il « est interdit d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics. »

C’est la laïcité. Une loi que beaucoup saluent quand elle nous protège du prosélytisme musulman… Moins quand il s’agit du prosélytisme chrétien. Il suffit de lire le courroux d’une chronique intitulée « Détruisons les crèches de Noël ! » Son auteur accuse, je cite, « les ayatollahs de la laïcité » de vouloir expurger l’espace public de tout événement religieux, jusqu’au vocabulaire, bref d’être des ennemis de dieu et de la culture.

L’argument a beaucoup plus à Christine Boutin qui a repris ce credo et même cette consigne. Pendant ce temps à Béziers, Robert Ménard, en profite pour faire du zèle. Il ne démontera pas la crèche de sa mairie. Bien que garant de la loi, il refuse de l’appliquer. Quant à la laïcité, tout le monde a bien compris qu’elle n’est censée s’appliquer qu’à l’Islam.

Par-delà les excès des uns et des autres, que faut-il penser de l’émotion soulevée ? Où mettre la limite entre laïcité et neutralisation de la culture religieuse ? Ce débat passionnant mérite un minimum de bonne foi.

Oui à la crèche, mais pas en mairie

Levons tout de suite un malentendu. On peut être laïque et aimer les crèches de Noël. Surtout quand on a grandi en Provence, ce qui est mon cas. Les crèches, c’est le souvenir de balades en famille pour aller chercher de la mousse, de l’achat des santons et d’une mise en scène magique au-dessus de la cheminée… C’est émouvant. Surtout quand les santons représentent Jésus, des villageois ou les Rois mages et non, comme cette saison, de petits militants de la Manif pour tous avec des pull-overs roses. Histoire de bien apprendre aux petits enfants, très jeunes, à détester les droits des autres…

C’est plus triste mais toujours légal. La loi de 1905 n’interdit en rien de faire les crèches. Les Santons de Provence s’étalent en ce moment même sur les marchés, et les Églises — qui ont quand même un joli parc immobilier — ont toute la place nécessaire pour les exposer.
La seule chose qui est demandée, c’est de ne pas installer un petit Jésus dans une mairie sur fonds publics. Tout simplement parce que les mairies ou les Conseils généraux représentent la République, son service public, au service de tous les citoyens, quelle que soit leur confession.

L’égalité des cultes

En matière d’égalité des cultes, il n’existe que deux options. Soit vous veillez à ne pas privilégier une religion sur une autre par la séparation entre les Églises et l’État. C’est la laïcité à la française. Soit vous les favorisez toutes, modèle plus anglo-saxon, mais à vos risques et périls… Après les crèches, les mairies pourraient pourquoi pas offrir des moutons pour l’Aïd, construire des cabanes pour Souccot ou organiser des bûchers funéraires avec des vautours pour les Jaïns… dont les us et coutumes sont trop souvent ignorés dans notre espace public. Voilà qui fait envie.

Il reste une dernière option : assumer pleinement qu’une religion est supérieure aux autres. C’est bien la tentation à l’œuvre. Elle risque de défaire un siècle de laïcité protectrice et de nous mener aux pires guerres identitaires.

Ni multiculturalisme ni monoculturalisme

Deux leçons peuvent être tirées du débat ayant eu lieu au Québec sur ces sujets. Ils illustrent des excès contraires.

Il y a quelques années, certains ont poussé l’absurde jusqu’à vouloir interdire le sapin de Noël de plusieurs institutions par attachement au multiculturalisme. Pour le coup, on frôle effectivement la volonté d’expurger la culture d’un pays sous prétexte que des migrants ont une autre culture. Le sapin n’est pas un symbole si religieux. On l’appelait jadis « arbre de vie ». Il a traversé le paganisme et le christianisme. A la rigueur, on peut l’appeler « sapin de fêtes » pour le rendre plus universel, mais nul besoin de l’interdire !

À l’inverse, des parlementaires québécois ont refusé de retirer le crucifix qui trône au-dessus du parlement au motif que celui était « patrimonial » et non spécialement religieux. Pour le coup, ce n’est plus du multiculturalisme béat mais du monoculturalisme douteux. Une façon de placer une religion au-dessus des autres et même de la loi commune.

L’esprit de Noël

En résumé, si l’on ne veut ne pas ruiner l’esprit de Noël ni détruire la laïcité, on peut considérer que la tradition des fêtes de fin d’années est bien culturelle. Elle concerne tout le monde et pas seulement les chrétiens. Elle peut même être symbolisée par un sapin commun. Mais les crucifix n’ont rien à faire à l’Assemblée et les crèches sont plus belles sur des cheminées ou dans des Églises que dans des mairies. C’est juste une question d’équilibre entre l’espace des libertés et l’espace de contrainte lié aux principes d’égalité et de laïcité régissant notre espace commun. Le comprendre demande un peu de bonne volonté et de bonne foi. Et ça, même quand Noël approche, ce n’est pas si facile à trouver en magasin. Du coup, comme on ne peut pas l’offrir, il faut parfois l’imposer.