Le défi des cultures

 
Les sites d’extrême droite qui saluent le livre d’Hugues Lagrange, Le Déni des cultures (Seuil, 350 p., 20 euros), ne l’ont visiblement pas lu. Même incertaine, la méthodologie de l’ouvrage ne permet pas de valider leurs raccourcis. Que nous dit l’auteur ? Qu’il existe un lien entre délinquance et échec scolaire. Que les enfants de familles pauvres subsahariennes apparaissent plus souvent parmi les auteurs de petits délits que les enfants de familles pauvres venus d’autres pays d’Afrique, maghrébines ou « autochtones » (selon le terme employé). Il en conclut, sans les nier, que l’explication sociale et le poids des discriminations ne peuvent tout expliquer. Et se tourne donc vers la question culturelle.

D’après Hugues Lagrange, certaines familles subsahariennes (Mali, Sénégal, Mauritanie), où la culture patriarcale et polygame est très présente, se trouvent désorganisées par le contraste avec la « société d’accueil ». Dans leur pays d’origine, les femmes apprennent à compenser l’autoritarisme du père en s’appuyant sur les anciens et la communauté. Ces contre-pouvoirs ne fonctionnent plus de la même façon en France. L’autoritarisme des maris sert souvent à compenser les repères et le prestige qu’ils ont perdus en émigrant. Il est accru par la montée d’un « néotraditionalisme », une caricature de la culture d’origine, favorisée par le repli sur une identité religieuse et la ghettoïsation sociale. Le tout finit par alimenter une forme de « sous-culture », qui accroît l’incompréhension et le risque de décrochage de certains enfants.

Voilà, en quelques lignes, le résumé d’une thèse, ni dénuée d’intérêt, ni renversante. Il y a bien longtemps que des ouvrages dénoncent la domination masculine comme un frein à l’intégration, sans avoir besoin d’en faire une généralité « culturelle ». L’un des aspects les plus agaçants du livre consiste à prétendre briser le tabou du modèle républicain français. Comme si ce modèle – qui refuse de distinguer les citoyens en fonction de leurs origines en droit – interdisait de s’intéresser aux parcours familiaux et culturels dans les faits. Absurde.

Le Conseil représentatif des associations noires (CRAN) saute sur l’occasion pour tenter de remettre au goût du jour les statistiques de la « diversité ». Quitte à réduire à une question « ethnique » des parcours identitaires et culturels infiniment plus complexes. Que peut nous apprendre de plus le nombre exact de citoyens noirs, arabes, homosexuels ou juifs ? Rien, si ce n’est toujours plus de raccourcis et toujours moins d’arguments pour refuser la gestion ethnicisante d’un Brice Hortefeux.

C’est d’ailleurs le véritable point faible du Déni des cultures. Non pas servir la « droite au pouvoir », comme le lui reprochent Didier et Eric Fassin, mais faciliter l’irresponsabilité politique, là où l’approche sociale a le mérite de mettre l’Etat et les collectivités locales face à leurs devoirs. L’auteur du Déni des cultures souhaite visiblement une gestion plus « culturelle » des immigrés. Horrifiés par sa thèse, des sociologues militant pour le multiculturalisme réalisent soudainement la « misère du culturalisme », où il conduit inévitablement. Ce n’est pas le moindre des miracles… Et si l’inclusion restait le meilleur des modèles ?

Au lieu de déléguer le soutien scolaire et la médiation familiale à des prédicateurs ou à des interprètes communautaires, il suffit d’apprendre aux éducateurs de la République à mieux connaître les cultures subsahariennes pour faire le lien. Au lieu de s’arrêter au machisme des pères, il est temps d’aider les mères à former des coopératives et à se saisir du microcrédit pour améliorer leur statut et le revenu de leur famille. Entre le déni des cultures et le rejet des cultures, il existe un défi pluriculturel que le modèle républicain – universaliste et cultivé – permet tout à fait de relever.

Caroline Fourest

Article paru dans l’édition du 09.10.10