Désamorcer le FN

Le piège est bien ficelé, la torpille parfaitement calibrée. En qualifiant d’« occupation » des rues annexées par des prières, Marine Le Pen a obtenu tout ce qu’elle cherchait. D’abord et avant tout, l’indignation outrée, qui lui permet de jouer les candides. Quoi ? Le mot « occupation » est-il si grave quand des rues sont bel et bien bloquées par des séances de prière ?

Exactement comme son père, Marine Le Pen maîtrise l’art de la double sonorité. Les antiracistes, qui ont l’ouïe fine, entendent « islam = immigration = occupation ». Ils montent au créneau et s’indignent. D’autres, surtout choqués par cette entorse visible à la loi de 1905, se demandent s’ils n’en font pas trop… A force de traiter d’ « islamophobe » toute personne simplement hostile à l’intégrisme, l’accusation n’a plus qu’un effet : faire passer pour un agneau laïque le loup – bien réel – du racisme antimusulman. Bilan : la cote de popularité de Marine Le Pen monte en flèche, y compris chez les sympathisants de gauche. Quatre Français sur dix approuvent ses propos. Idéal pour lancer l’OPA sur la laïcité.

Il y a de quoi sourire en voyant le parti le plus antilaïque de France se convertir à cette belle idée. Moins lorsqu’on pressent ce que cette conversion va signifier. Le danger avec le FN ne vient pas de ses excès, mais de l’effet abêtissant qu’il peut avoir sur la classe politique.

Une certaine droite, qui avait rangé son débat sur l’identité nationale, songe à le ressortir des cartons. Quitte à valider une grille de lecture où le Front national sera toujours plus crédible.

Une certaine gauche, qui commençait pourtant à réaffirmer haut et fort son attachement à la laïcité, pense qu’il faut surtout construire des mosquées… Quitte à se tirer une balle dans le pied. Ou plutôt dans l’article 2 de la loi de 1905. Précisément celui que Nicolas Sarkozy voulait abroger – au nom de la « laïcité positive » – pour financer et contrôler l’islam de France. Un faux pari absolu.

Il s’ouvre dans ce pays une salle de prière évangélique ou musulmane par semaine. Certains lieux de culte sont vides mais d’autres, souvent radicaux, attirent les foules. Ils n’ont pas plus à bénéficier du droit de déborder sur la rue qu’une association d’aérobic dont le prof serait très recherché… Pourtant, ni les maires ni les préfets n’osent faire respecter la loi, par peur d’être montrés du doigt. Après la sortie de Marine Le Pen, ils le feront moins que jamais. Et le Front national, ce résistant de la vingt-cinquième heure, pourra parader sur le mode : « Nous sommes le seul parti à vouloir reconquérir les territoires perdus de la République. »

La suite du film n’est pas difficile à imaginer. Chaque fois que les démocrates se taisent face à l’intégrisme ou cèdent aux « accommodements religieux », l’alternative nationaliste et xénophobe gagne du terrain. A l’image d’Oskar Freysinger, l’homme de la votation populaire contre les minarets, qui vient tisser des liens avec le Bloc identitaire et quelques ultra-laïques à l’occasion d' »assises contre l’islamisation ». Suisse, Suède, Pays-Bas… L’Europe se couvre de populistes cherchant à faire croire que le problème serait « l’islam » ou « l’islamisation ». Pour mieux vendre leur « soupe au cochon » bon marché : l’identité nationale chrétienne.

Il était encore temps d’y résister. A condition de ne pas reproduire les erreurs des années 1990 face au FN. Ne pas rendre tabous les sujets qui fâchent, mais continuer à dire haut et fort certaines vérités. C’est la malchance du Front national. Contrairement à ce qu’il voudrait faire croire, il existe dans ce pays un front républicain, à la fois antiraciste et laïque, qui n’a jamais déserté. Il est non seulement le premier à avoir posé les bonnes questions, celle de l’intégrisme… Mais il détient toujours les bonnes réponses : l’égalité et la laïcité.

Caroline Fourest

Article paru dans l’édition du 18.12.10

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