Le Masque et la Flèche

C’est donc plié. Le front républicain se meurt et l’arc républicain n’est plus bandé. Puisque les extrêmes sont si hauts dans les sondages, en force à l’Assemblée, on exige de mettre en sommeil notre esprit critique pour se soumettre à la loi du nombre, à la foule des opposés confondue avec une majorité. De dessiner un mouton plutôt qu’un arc. Au nom de la démocratie, on lui tire même une flèche dans le pied. « Encore un instant, monsieur le bourreau. »

À quoi reconnaît-on cet arc républicain au bord de rompre ? Au sentiment organique qu’on ne jouira pas de la même liberté si certains partis parviennent au pouvoir. Qu’on ne pourra pas les contredire, comme des gouvernants démocrates. Qu’ils écraseront les contre-pouvoirs de leur ruse et de leur force. En cela, LFI et le RN ne ressemblent à aucun autre parti. Et se distinguent l’un de l’autre par leurs façons de tendre l’arc : la factieuse et la factice.

La factieuse, c’est la méthode Mélenchon. Tempêter « la République, c’est moi » pour souffler sur les braises du chaos et de la révolution : les émeutes, la haine de la police, des médias, de ceux qui gouvernent. Agiter ce dégagisme guillotin présente bien des vertus en tyrannie, mais sème le bordel et la terreur en démocratie.

La factice, c’est la nouvelle méthode Le Pen. Imiter la démocratie jusqu’à se confondre avec le tapis rouge de l’Assemblée nationale. Se faire oublier, façon moquette, pour sortir le diable de sa boîte le moment venu : une fois au pouvoir. Ne plus dire un mot plus haut que l’autre, et même s’approprier ceux de la laïcité, que le FN et ses amis maurassiens ont toujours combattue, jusqu’à la loi sur les signes religieux à l’école publique. Se grimer en Dreyfus des temps modernes quand toute son histoire, celle des fondateurs comme celle de ses hommes de l’ombre, mène de la collaboration au GUD.

Oser vouloir se pointer, sans y être invité ni désiré, aux obsèques de Robert Badinter, alors que son camp a toujours vomi l’homme ayant aboli la peine de mort. Alors que la jeune Marine Le Pen est allée crier contre cette abolition aux côtés de son père. Le RN a poussé l’insolence jusqu’à s’incruster à la panthéonisation de Missak Manouchian, fusillé par les Allemands, en feignant de croire qu’il existait le moindre lien entre un parti nationaliste xénophobe fondé par des collabos et des résistants étrangers, autre que l’Affiche rouge. Marine Le Pen en a même profité pour dénoncer les crimes du communisme, tout en se disant à sa place à cette cérémonie en raison de ses liens familiaux avec la Légion étrangère… refuge d’Allemands nazis après la guerre !

Tout est permis quand on ne croit en rien, ni aux mots qu’on prononce ni à la vérité, seulement à tromper son monde pour gagner l’Élysée. C’est à la façon dissimulatrice dont le RN se comporte dans l’opposition, aux procès dont ils assomment le moindre journaliste critique, à son manque total de transparence et de décence, qu’on reconnaît le vrai visage du RN. Et il n’est pas républicain.

Caroline Fourest

Franc Tireur, N°120