Ben Laden chez Elvis

Ben Laden n’est pas mort. Il sirote une bière sans alcool avec Elvis. Quelque part dans un coin paumé de l’imaginaire conspirationniste. Un univers de sceptiques, gavés jusqu’au cortex de films hollywoodiens, mais méfiants jusqu’à l’os lorsque l’Amérique fait une annonce officielle. Que ce soit à propos des ovnis ou du 11-Septembre. Les théories les plus fumeuses sur l’attentat du World Trade Center les ont régalés. La mort sans photo de Ben Laden devrait les tenir en haleine une bonne décennie.

A peine l’allocution de Barack Obama terminée, le Web enflait de rumeurs folles. La palme du scénario le plus original revient à Thierry Meyssan, déjà remarqué pour son synopsis sur le 11-Septembre. Un best-seller qui porte bien son nom,L’Effroyable Imposture (Carnot), et dont la couverture proclame : « Aucun avion ne s’est écrasé sur le Pentagone ! » Beaucoup pensaient que la mystification se dévoilerait d’elle-même. C’était mal connaître l’époque et son besoin de croire en une vérité cachée. Surtout si elle arrange certains régimes. Grâce à son livre, Thierry Meyssan a connu une carrière internationale fulgurante. L’homme ne sait plus où donner de la tête, entre les invitations de son ami Hugo Chavez, les réceptions dans les ambassades iraniennes, les contacts avec la Chine, ses voyages en Syrie et surtout son nouveau job : conseiller en communication du Hezbollah à Beyrouth.

Drôle de trajectoire tout de même. Dans les années 1990, le même homme défendait la laïcité et la liberté d’expression contre l’intégrisme. A l’époque, il militait au Parti radical de gauche, au sein d’associations gays et se revendiquait franc-maçon. La gauche laïque raffolait de ses « billets » sur l’extrême droite catholique, bien que souvent faux ou romancés. Le Réseau Voltaire, sa petite agence d’information, prenait la suite du Projet Ornicar, une association défendant la liberté sexuelle contre la censure et l’ordre moral.

Etonnante reconversion, déjà, puisque Meyssan avait milité dans sa jeunesse au Renouveau charismatique, un mouvement moraliste inspiré du pentecôtisme américain. A l’en croire, son mariage avait même été « annulé » par l’Eglise pour homosexualité. Désormais, le voilà aux côtés des gardiens de la Révolution islamique, qui pend les homosexuels. Qui peut encore le croire ?

Véritable Picasso du conspirationnisme, Meyssan n’a cessé de changer de style et de versions pour vendre ses complots en kit, selon ses inspirations et la tête du client. Longtemps, la marotte du Réseau Voltaire fut l’Opus Dei. Puis ce fut l’ère du grand « complot mitterrandien », qu’il voyait partout. Y compris derrière le DPS, le service d’ordre du Front national ! La preuve ? Son chef de l’époque, Bernard Courcelle, avait travaillé au musée d’Orsay… où travaillait également Anne Pingeot, la maîtresse cachée de Mitterrand. Mais c’est bien sûr !

Depuis, notre Sherlock Holmes a trouvé une « machine à fantasmes » qui se vend bien mieux, surtout à l’international : la CIA. D’après le Réseau Voltaire, c’est elle qui a orchestré le 11-Septembre, mais aussi la prise d’otages de Beslan (Ossétie du Nord). Elle encore qui manipule le « printemps arabe ». Les Arabes ne sont déjà pas capables de détourner des avions, alors penser une révolution… D’ailleurs, ce n’est pas Bachar Al-Assad qui fait tirer sur la foule. Meyssan se demande si ces miliciens en voiture ne seraient pas plutôt des Américains. Il en est persuadé : la CIA en veut à sa vie. Mais ne croit pas une seconde que l’Amérique vient de tuer Ben Laden. Et pour cause, il le donne déjà mort en 2001.

En fait, la CIA ferait semblant d’avoir tué un homme qu’elle a déjà tué… Pour manipuler les islamistes sunnites contre les régimes iranien et syrien. Les nouveaux amis du Réseau Voltaire. Autant dire ses producteurs. Dommage que Thierry Meyssan n’assume pas sa vraie vocation : scénariste.

Caroline Fourest

Article paru dans l’édition du Monde du 07.05.11