Une salade grecque très européenne

L’Europe se bâtit à coups de symboles. Et tout indique qu’elle traverse une nouvelle épreuve du feu. Jeudi 11 février, la Commission Barroso 2 enfilait les pantoufles de Barroso 1. La veille, en Grèce, les grévistes de la fonction publique brûlaient des drapeaux européens. Le lien entre ces deux symboles n’est pas évident. La colère peut se comprendre lorsque l’orthodoxie du pacte de stabilité sert à agiter le spectre de la dette pour mieux bloquer l’investissement public par idéologie ultralibérale. Elle est moins légitime lorsqu’un plan de réduction des dépenses publiques peut sauver un Etat de la faillite.

© Fiammetta Venner© Fiammetta Venner

Les paysans grecs, à la rigueur, pourraient râler. Alors que presque toutes les huiles d’olive d’Europe, même les plus mélangées, ont reçu leur appellation d’origine, l’huile d’olive grecque n’a toujours pas son label. Le savoir-faire du lobby agricole d’autres pays a également longtemps empêché la feta – spécialité grecque par excellence – de bénéficier d’une « appellation d’origine protégée ». Un affront symbolique, mais surtout un handicap économique, qui a mis du temps à être digéré. En revanche, l’entrée dans la zone euro a permis une stabilité monétaire et contraint l’Union européenne (UE) à se pencher sur le sort de la Grèce. L’Europe ne lui a ouvert ses portes que pour le symbole : avoir parmi ses membres le pays où est née la démocratie. Pour le reste, des pays comme l’Allemagne n’étaient pas vraiment emballés à l’idée de voir leur gestion modèle fragilisée par l’arrivée d’économies méditerranéennes plus incertaines. A sa demande, le traité de Maastricht précise qu’aucun pays de la zone euro n’est censé sauver un pays membre en cas de difficultés budgétaires. Mais les traités sont bien peu de chose face aux crises symboliques…

Aujourd’hui, preuve que l’Europe politique existe au moins dans les têtes, la plupart des membres de l’Union vivraient comme une « humiliation » le fait que le Fonds monétaire international (FMI) et non l’UE sauve l’un des siens. Pour éviter l’affront, le tandem franco-allemand s’active. Tant mieux. Puisque rien ne bouge sans lui. Mais un plan de sauvetage ne pourra pas se contenter d’être binational, surtout si la crise s’étend à l’Espagne ou à l’Italie. Il faudra bien mutualiser les pertes à l’échelle de l’UE, et probablement faire entrer le FMI dans la danse. Quitte à prendre le risque symbolique de souligner les limites de l’UE. Pour sauver l’honneur, il faudrait donner le sentiment de piloter ce plan grâce à un gouvernail européen. Mais c’est là que le symbole est le plus défaillant…

Le traité de Lisbonne n’a pas résolu les problèmes de leadership de l’Europe. En partie parce qu’ils dépassent de loin la question de ses institutions. Le fait même d’être un lieu de compromis entre plusieurs nations pousse dans la voie de l’arbitrage économique au détriment de l’Europe politique. Pour être une force politique, il faudrait pouvoir dissocier ce qui relève des choix de la droite européenne des choix de la gauche européenne. Comment s’y retrouver lorsque l’écrasante majorité des députés européens français – de droite comme de gauche – ont voté pour Manuel Barroso… Même flanqué de deux coéquipiers, le trio actuel donne l’impression d’avoir été choisi pour ne pas faire de l’ombre aux Etats et à leur leadership. A eux donc de se coordonner pour démontrer que le politique est capable de reprendre la main sur le financier. Notamment sur les fonds spéculatifs (hedge funds) qui attaquent et spéculent sur la faillite de l’un des Etats membres. Les contribuables européens accepteront difficilement de payer la dette d’autres pays. Sauf s’ils sont convaincus que mutualiser les pertes est un gain pour tous. Même chaotique, ce semblant d’Europe politique doit donc prouver qu’elle peut protéger l’économie des rapaces de la finance. Sans ce symbole, qui doit aller bien au-delà des mots, l’UE sortira de cette crise aussi impuissante qu’affaiblie et déchirée.

Caroline Fourest

LE MONDE | 12.02.10