Allez donc mourir ailleurs !

Les scénaristes américains sont doués pour le suspens. Mais leur talent ne doit pas tout à l’imagination. Prenez ces moments d’intense émotion où le héros arrive mourant à l’hôpital. On ne sait pas s’il va survivre. Et là, au lieu de l’amener au bloc en toute hâte, l’infirmier lui réclame sa carte bancaire pour s’assurer de sa solvabilité… A côté, les séries françaises ronronnent. Tout le monde se doute que notre héros, qu’il soit riche ou pauvre, sera admis et soigné dans un hôpital public. Mais réjouissons-nous. Dans quelques années, les séries françaises seront aussi palpitantes qu’aux Etats-Unis. Avec un peu de chance, on fera même grimper la courbe des infarctus. Notamment parce que les malades au bord de l’arrêt cardiaque auront mis un certain temps à trouver un hôpital qui veuille bien les admettre.

Au nom de la « culture du résultat » et d’une conception managériale de l’hôpital public, le président de la République souhaite en effet « responsabiliser » les établissements de santé. Comment ? En rendant public un tableau qui les classera selon des « indicateurs simples » comme le « taux d’infection » et le « taux de mortalité ». « Je veux des résultats concrets », a-t-il prévenu.

Les hôpitaux qui obtiendront un bon score seront récompensés, les autres sanctionnés. Pour obtenir de bons points (entendez : des budgets), les hôpitaux publics devront donc veiller à ne pas admettre trop de malades susceptibles de trépasser, comme les victimes d’un carambolage sur l’autoroute, sous peine de faire chuter leur classement au tableau d’honneur.

Loin des discours censés mettre un peu de raison dans la foi en l’utralibéralisme, celui tenu sur la « réforme des soins » montre que le président tient à appliquer une grille de lecture commerciale au monde médical. L’hôpital y est envisagé comme une entreprise, et la santé publique comme une marchandise. Notamment lorsqu’il explique : « Je ne vois pas pourquoi une politique d’intéressement, à laquelle je crois tant dans le secteur privé, ne s’appliquerait pas dans le secteur hospitalier. » Il menace de sanctionner les hôpitaux en déficit, mais propose d’intéresser le personnel hospitalier en cas d’« excédents » : « Pourquoi ne pas permettre aux hôpitaux qui sont à l’équilibre, grâce aux efforts de tous leurs personnels, de redistribuer une partie des excédents ? »

Mais de quels excédents parle-t-on ? A quoi ressemblera l’hôpital public si son personnel est censé réfléchir en termes de profits, voire refuse les mourants pour rester compétitif ? Pour faire des profits, faut-il souhaiter plus de malades, augmenter les tarifs, faire de l’abattage ? Dans l’hypothèse absurde où le personnel médical travaillerait 24 heures sur 24 sans tuer trop de malades, que signifie de vouloir redistribuer les profits ainsi engrangés au personnel ? Y a-t-il trop d’argent dans les caisses de l’Etat que l’on puisse s’en passer ? D’ailleurs, au fond, que signifie cet « intéressement » ? Suffirait-il que les équipes hospitalières travaillent plus ou soient plus motivées pour que les hôpitaux publics soient excédentaires ?

Comme souvent avec les déclarations du président, tout est dans ce que les Américains appellent le subtext (le sous-texte) : le sens caché d’une phrase. Tout comme les franchises médicales, l’intéressement est une façon non avouée de désigner les personnels hospitaliers et les malades comme étant coresponsables des déficits de santé, pour mieux faire oublier qu’ils sont surtout imputables au désengagement de l’Etat et à ses priorités budgétaires.

Pourtant, le président l’admet lui-même, les difficultés que rencontrent les hôpitaux publics français – parmi les meilleurs au monde – tiennent surtout à l’augmentation de la demande : le vieillissement de la population va de pair avec un surcroît de consultations, d’hospitalisations, et donc un besoin grandissants en lits. Or que fait l’Etat ? Sous prétexte de faire des « économies d’échelle », il a passé l’essentiel de ces dernières années à supprimer des lits et à fermer des services. Loin d’être ralenti depuis la crise de la canicule et loin des mises en gardes du Syndicat des urgentistes de Patrick Pelloux, ce phénomène s’est accéléré depuis que les hôpitaux sont passés d’un système de dotation globale – qui permettait une certaine souplesse dans la répartition des financements entre les différentes activités – à un système de tarification par activité.

Jadis, un chef d’établissement hospitalier était responsable de son établissement et s’organisait de façon à proposer toute une palette de soins coordonnés. Aujourd’hui, il reçoit ses ordres de la part de technocrates travaillant pour des pôles de santé régionaux, dont l’obsession est de faire des économies d’échelle et non d’offrir un service public de proximité. Le plan Hôpital 2007 a foncé dans cette voie.

Officiellement, il était question d’accompagner cette réorganisation sur un mode entrepreneurial par un plan de relance ambitieux en termes d’équipement et d’infrastructures. Mais, d’après les syndicats, la construction de nouveaux équipements et bâtiments s’est faite aux deux tiers grâce à des autofinancements, c’est-à-dire en prenant sur les budgets des hôpitaux, qui ont dû sacrifier des activités moins rentables ou supprimer du personnel pour s’ajuster. Les critères d’évaluation du président ne disent rien de ces « équilibres »-là. Il existe des transparences absurdes qui ressemblent à des écrans de fumée.

Caroline Fourest
Article paru dans Le Monde du 26.09.08

4 réflexions sur “Allez donc mourir ailleurs !

  1. Il n’est en plus pas nécessaire de faire de rapport annuel pour l’octroi des budgets hospitaliers : le Point s’en charge. Merci le libéralisme pour toutes ces économies !
    Plus sérieusement, tout sarcasme mis à part, il ne fait pas bon d’être un « rural » par les temps qui courent.

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  2. En fait ces statistiques et indicateurs sont extrèmement dangereus; en plus de l’exemple donné du choix du patient a hospitaliser , on peut ajouter: le refus de certaines interventions risquées ( du fait de l’état général du patient ou du type d’intervention) ce qui revient en fait a une perte de chance pour le patient alors que la décision devrait être prise après discussion avec le patient et évaluation des chances de succcès
    En ce qui concerne le taux d’infection , il est lui aussi fortement lié a l’état du patient: diabète, déficit immunitaire, insuffisance rénale sont des facteurs qui rendent un patient plus sujet a une infection;
    J’ai vu en Angleterre où j’ai travaillé, toutes les petites manipulations pour éviter les pertes de financement selon les critères édictés par Blair soit disant pour l’amélioration des soins au patient.Un exemple: les ambulances n’étaient pas autorisées a faire admettre leur patient aux urgences en cas de surcharge, pour ne pas dépasser les 4h d’attente redhibitoires pour les statistiques évaluant la qualité du service d’urgence et donc le niveau des financements du service

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  3. Je me rappel des paroles d’un professeur d’économie à la fac : « Personne ne lui dit rien, alors il fait ce qu’il veut. Il a personne en face ! T’as vu l’opposition ? Elle n’existe pas. Je suis désolé, mais on va l’avoir pour 10 ans. Il a tout préparé, il a tout fait, il connait les ficelles puisqu’il a travaillé au ministère de l’intérieur. Il est installé pour 10 ans. » Cet ami parlait de Sarkozy.

    Oui, on va en baver pour 10 ans. Alors qu’est-ce qu’on attend pour lui foutre un coup de pied au cul à ce nain ? Qu’est-ce qu’on attend ?

    Moi je suis pour Benoit Hamon, il est déconnecté de la réalité, mais au moins il parle bien et les gens aiment ceux qui parlent bien … Voilà, à force de faire que de l’image, la politique s’est réduit à mes yeux à une image. Chacun essaye de jouer un beau rôle, c’est le meilleur acteur qui gagne. Je trouve que même si je suis pas d’accord avec Benoit Hamon c’est le seul Leader possible (il parle bien, c’est un bon acteur). Les autres sont nul niveau blabla.

    Dommage qu’Hamon soit contre la constitution européenne et qu’il soit déconnecté de la réalité, je suis contre ses idées mais pour sa gueule que je trouve plaisant pour remonter l’image du PS … Raaaaaaa, politique, quand tu nous tiens.

    Que faire, jouer les acteurs ou rester sincère ? Dans les deux cas, on perd.

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  4. Bonjour

    Il s’agit de l’idéologie libérale en général, un petit billet concis figure dans la rubrique débats du site souffrancesautravail.org.

    Dans la mesure où j’ai le plaisir d’écouter vos billets à France Culture, je voulais vous questionner sur votre sentiment sur cette question…le ferez vous sur France Culture?

    bien cordialement

    AB

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