A la veille de la primaire de droite, les réseaux sociaux bruissent d’une consigne douteuse. Il ne faudrait surtout pas voter pour «Ali Juppé». Aux Etats-Unis, les électeurs de Trump raillent Barack «Hussein» Obama. Pour peu que le maire de Bordeaux bronze un peu, des trolls nous feront bientôt croire qu’il s’est converti.

Entendons-nous bien. Il y a beaucoup à dire sur les naïvetés d’Alain Juppé en matière de lutte contre l’intégrisme, catholique ou musulman. On a raison de s’inquiéter de sa complicité, ancienne, avec l’imam de Bordeaux. Tareq Oubrou a beau passer pour un modéré sur toutes les antennes, il n’a jamais renié son appartenance à l’UOIF, ni ses maîtres à penser, et joue les entremetteurs entre les islamistes et l’extrême droite. Pas vraiment un atout contre la radicalisation.

Mais ce qui est vraiment comique, c’est que ce reproche puisse venir de sympathisants de droite appelant à voter pour Nicolas Sarkozy, l’homme politique qui a tant fait pour l’UOIF et qui menace sans doute le plus la laïcité !

Avec ses phrases à l’emporte-pièce, il s’y connaît comme personne pour la faire détester. Comme lorsqu’il déclare qu’un enfant qui ne veut pas manger de jambon à la cantine n’a qu’à prendre une «double ration de frites». Une injonction McDo humiliante et indigeste. Alors qu’il existe une solution à la fois laïque et respectueuse pour éviter le communautarisme dans les cantines : des self-services ou des menus végétariens. Saint Sarkozy ne veut pas faire progresser la laïcité, ni la faire aimer. Il veut se faire aimer et gagner une élection. C’est très différent.

Une scène illustre à merveille sa technique de pompier pyromane face à l’islamisme. Un match de boxe télévisé, où il a mis KO Tariq Ramadan à propos d’une tribune de son frère glorifiant la lapidation dans les pages du Monde… Une belle comédie en vérité. Car, en coulisses, le ministre de l’Intérieur venait d’offrir un tiers de la représentation de l’islam de France et du Conseil français du culte musulman à l’UOIF. Soit l’organisation frériste qui promeut Tariq et Hani Ramadan partout en France !

Opposé à Jacques Chirac à propos de la loi sur les signes religieux à l’école publique, Nicolas Sarkozy a favorisé l’explosion des lieux de culte sectaires, et le financement public des premières écoles confessionnelles tenues par les Frères musulmans. Le tout au nom d’une vision à la fois américaine, cléricale, utilitariste et concordataire de la laïcité. Un gloubi-boulga idéologique que seuls les plus opportunistes ou les plus incultes peuvent oser. Nicolas Sarkozy ose. C’est même à ça qu’on le reconnaît.

Il faut relire son livre inouï la République, les religions, l’espérance, écrit avec un prêtre dominicain et un militant catholique radical. On y trouve tous les poncifs de l’antilaïcité, et une solide défense des sectes et des intégristes de l’UOIF, réduits à de simples orthodoxes.

Ne parlons pas de son fameux discours de chanoine au Latran, qui épouse totalement la vision revancharde de l’Eglise envers la séparation… Et place le curé au-dessus de l’instituteur. Une façon de tourner le dos à cent ans de combat pour l’école laïque, alors que nous sortions de la bataille pour interdire les signes religieux. Une trahison qui est allée jusqu’à désarmer l’école laïque, en lui retirant des professeurs, pour mieux doter les écoles confessionnelles intégristes.

Lorsqu’il était président, saint Sarkozy n’a cessé d’appeler de ses vœux une «laïcité positive» et «ouverte», c’est-à-dire accommodante. Il a voulu abattre l’article 2 de la loi de 1905, son âme, pour construire des mosquées. Ne parlons pas de la désorganisation criminelle des Renseignements généraux, qui nous ont rendus aveugles pour détecter des attentats et des djihadistes au pire moment.

Loin de méditer sur ses fautes, saint Sarkozy de Latran prétend maintenant défendre le modèle laïque français, dont il ne saisit aucune des subtilités. Simplement parce qu’il a fait voter une loi sécuritaire contre le niqab, qu’il est prêt à interdire le voile à chaque coin de rue (mais pas les crèches en mairies), et à gaver les petits écoliers de frites. En réalité, saint Sarkozy est à la laïcité ce que Donald Trump est à la grandeur de l’Amérique. Une farce qui tourne mal. Une imposture totale.

« Ali Juppé » et saint Sarkozy
Par Caroline Fourest
761 mots
11 novembre 2016

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« Ali Juppé » et Saint Sarkozy