4 avril : Amina, 19 ans et 18 jours de captivité

femen-amina

Demain, sur toute la surface du globe, des milliers d’internautes vont penser à Amina. Cette jeune tunisienne de 19 ans, majeure donc, n’est plus libre de ses mouvements mais séquestrée et gavée de médicaments par sa famille, avec la complicité de la police et d’associations qui se taisent. Punie et retenue prisonnière. Sans avoir commis aucun crime, mais un simple péché aux yeux des puritains : deux photos d’elle torse nu, pour dire que son corps lui appartient : « Mon corps m’appartient, il n’est l’honneur de personne ». Depuis, ce corps ne lui appartient plus.

Il est d’abord été menacé par un prédicateur  islamiste, Adel Almi. Craignant que son acte puisse « être contagieux et donner des idées à d’autres femmes », il souhaite qu’Amina soit punie « selon la charia ». Au minimum « 80 à 100 coups de fouet » voire « elle mérite d’être lapidée jusqu’à la mort ». Ses propos choquent de nombreux Tunisiens, mais pas au point de soutenir Amina ni de demander à la protéger. Elle se sent pourtant en danger et appelle à l’aide les FEMEN, avec qui elle est en contact depuis quelques jours. Elle doit se cacher chez des amis. Une branche de sa famille, l’inquiète tout particulièrement. Sur internet, une tante la décrit comme « psychopathe » et invite tout Tunisien à la dénoncer à la police. Plusieurs internautes Tunisiens prennent le relais, la signalent comme folle auprès de ses soutiens français, voire en voie d’être internée.

Pourtant, depuis des jours, la jeune femme tient bon et argumente. Elle donne des interviews, répond aux questions des journalistes et participe même à une émission très vue en Tunisie, où elle déjoue les critiques de manière très posée et structurée. Puis soudainement, Amina ne répond plus. Ni aux médias, ni à ses amis, ni à ses soutiens.

Un indice apparaît sur la toile. Le 18 mars, une vidéo la montre poussée dans un véhicule, garé à contresens dans l’avenue Habib Bourguiba, à quelques mètres seulement du ministère de l’intérieur. Des hommes agissant comme des policiers en civil forment un cordon. Amina a le bras tordu dans le dos par un proche, qui la pousse. L’attroupement laisse penser qu’il y a eu de la résistance. Où emmène-t-on ainsi Amina ? A l’hôpital psychiatrique ? En prison ? De force dans sa famille ? Pendant quelques jours, il faudra deviner. Puisque son téléphone est éteint et ne répond plus.

Quelques jours plus tard, un autre indice apparaît sur la toile. Dans une nouvelle vidéo, la tante d’Amina appelle « ses frères musulmans » à éradiquer les images dégradantes de sa nièce, accuse les Femen de complot, exhorte les religieux à éradiquer la drogue et la pornographie. Elle revendique surtout l’enlèvement, avec l’aide de policiers. Pour son bien, et surtout celui de « sa famille pieuse ». Ils la garderont le temps qu’il faudra pour qu’elle cesse d’être folle et redevienne normale. On la signale d’un hôpital psychiatrique de Tunis. Ses soutiens vérifient et ne trouvent rien.

La mobilisation, elle, a commencé. Depuis Londres, Mariam Namazie, une réfugiée iranienne, propose une journée internationale de soutien pour le 4 avril. Une vingtaine de personnes signent un appel à sa demande, dont Aliaa Magda Elmahdy, Kareem Amer, 
Jacek Tabisz, 
Nadia El-Fani, 
Richard Dawkins, Sundas Hoorain, 
Tarek Fatah, Taslima Nasrin, et moi même.

L’appel est repris par Luciano Barotto qui lance depuis l’Argentine, une pétition sur change.org et recueille plus de 100 000 signatures en quelques jours. Pendant ce temps, sur le site des FEMEN, des centaines de femmes et quelques hommes posent torses nus en soutien à Amina. D’abord massivement d’Amérique latine, puis du Golfe (Bahreïn), du Maghreb (Algérie, Maroc), mais aussi d’Egypte et d’Iran.

A Paris, l’ambassadeur aux droits de l’homme, François Zimeray, suit l’affaire de près. L’ambassade française à Tunis se renseigne, mais rien ne bouge. La diplomatie a beau dire mettre les « droit des femmes » au cœur de ses préoccupations, ce ne sont pour l’instant que des mots… Surtout lorsqu’il s’agit de la Tunisie. D’autant qu’une avocate connue, Bochra Bel Hadj Hmdia, dit représenter Amina et se veut rassurante. Elle est en vie, dans « sa famille », et « tout va bien ». Circulez, il n’y a rien à voir… Ses soutiens demandent à la voir pour le croire.

Le 27 mars, la  journaliste de Marianne, Martine Gozlan, y parvient enfin. Les soutiens d’Amina l’ont mise en relation avec un ami à elle, ils connaissent son nom de famille, le numéro de téléphone de sa mère et la ville où on la détient. La journaliste se rend sur place et va convaincre cette mère de la laisser s’entretenir quelques minutes avec Amina. Elle en sortira bouleversée. Même sous haute garde et mise sous camisole chimique, la jeune femme confirme qu’elle ne regrette rien, qu’elle soutient les FEMEN, qu’elle a été enlevée, malmenée par un cousin violent, qu’elle n’est pas libre et qu’elle veut retourner à l’école. Sa famille n’y songe pas. Ils sont décidés à la garder.

Ils ne consentent qu’à la laisser sortir dehors quelques minutes par jour sous haute escorte à la demande de l’avocate, qui est enfin allée voir Amina, accompagnée de journalistes de Canal +. Ils ne l’apercevront que de loin, en pyjama et visiblement groggy.

Que font les défenseurs des droits de l’homme et des femmes en Tunisie ? Vont-ils se lever contre la séquestration d’une majeure avec l’aide de la police ? Ils le disent, mais à voix basse.

Hormis deux personnalités tunisiennes, Nadia El Fani et Raja Ben Slama, peu donnent publiquement de la voix pour exiger des explications.

Une tribune de Kareem Amer , bloggeur égyptien torturé sous Moubarak, s’émeut de tant de lâcheté.  Sa signature est modifiée pour m’être attribuée par deux sites, dont un proche de l’Iran, dans le but de dénoncer une forme d’ingérence. Les éternels partisans du « charbonnier est maitre chez soi » se déchaînent. A partir de fausses informations et de rumeurs.

La campagne de soutien ne se laisse pas intimidée. Un site — Free Amina http://freeamina.blogspot.fr/2013/03/nouvelles-au-sujet-damina.html— se créée pour demander des comptes aux institutions tunisiennes, qui n’ont pas su protéger l’une de ses citoyennes. 34 000 courriers sont envoyés grâce une centaine de cybermilitants à travers le monde.

Le forum social mondial vient de s’ouvrir à Tunis. On espère un cri, un sursaut. Mais rien ne se passe. Des ateliers sont trop occupés à applaudir Tariq Ramadan ou les islamistes-capitalistes au pouvoir. D’autres ont mieux à faire. Après tout, qu’est-ce que la liberté d’expression et les droits des femmes… Tout va bien, on vous dit. Les portes parole de la famille prétendent même qu’elle retournera à l’école le 1er avril. Un mensonge de plus, qui sert juste à démobiliser

Nous sommes le 4 avril. Amina n’est pas à l’école mais toujours séquestrée. A l’appel de Maryam Namazie, plusieurs rassemblements vont être organisés devant les ambassades et consulats tunisiens : Malmo, Gotenburg, Stockholm, Bremen, Bonn, Frankfurt, London, Vancouver…

Les FEMEN ont également prévu d’agir. A leur façon. Radicale et provoquante. Qu’on aime ou non leur mode d’action, il faut bien avouer que la modération n’a pas payé… Certaines s’impatientent, voudraient frapper fort, et finiront sans doute par aller trop loin. Au risque de mettre en danger celle qu’elles veulent sauver.

J’apprends, en finissant ce texte, qu’une FEMEN d’origine tunisienne est allée brûler un drapeau salafiste devant… La Mosquée de Paris. Consternant choix sachant que la Mosquée de Paris est régulièrement attaquée par les salafistes en raison de sa modération. Mais ça n’est pas l’important.

Il faut regarder au-delà. Car le cas d’Amina dépasse largement le cadre d’un seul groupe ou d’un seul mode d’action.

Comme Aliaa avant elle, l’acte d’Amina a montré la voie à des milliers de femmes et résonne dans plusieurs régions à la fois. Ces femmes savent, désormais, combien leur corps est l’objet d’une guerre et donc une arme pour résister. Avec ou sans couronne de fleurs, sans forcément partager toutes les mêmes slogans, elles continueront, chacune à leur manière, une lutte engagée depuis des siècles… Contre la psychiatrisation et le musèlement des femmes libres. Que ce soit au nom de la tradition, de la religion ou de l’ordre établi. Un ordre dépassé, agonisant, et qui sera un jour aboli.

Le 4 avril, chacun à notre façon, soutenons Amina. 19 ans et déjà 18 jours de captivité.

Caroline Fourest

https://carolinefourest.wordpress.com

11 réflexions sur “4 avril : Amina, 19 ans et 18 jours de captivité

  1. Merci pour cette excellente synthèse de la scandaleuse « affaire Amina ». Le scandale étant évidemment dans le camp de ceux qui l’enferment, de ceux qui veulent lui faire payer l’expression de sa liberté, de ceux qui regardent sans réagir. En effet on ne peut que souhaiter que la lutte engagée par ces femmes libres aboutisse un jour. Et soutenir Amina.

    J’aime

  2. Liberté voilée, liberté volée..
    Tous, hommes, femmes, enfants, avec un voile graffé de mots solidaires avec Amina, le samedi 6 Avril 15 heure, 17 rue de Lübeck, Paris 16°, devant l’ambassade de Tunisie!

    J’aime

  3. Faut se mettre à la page. Amina vous a desavoué. Pauvres devergondées, vous vous en fichez pas mal en fait de cette tunisienne. Vos nichons donnent envie de vomir.

    fourretout
    rachra79@hotmail.fr
    82.241.17.246

    J’aime

  4. CAROLINE stp
    tu est si intéressante quand tu parles politique intérieure, alors occupes toi du gouvernement et laisse les femen faire leurs trucs bizarres
    merci
    bisous

    J’aime

  5. Impossible de comprendre ces harcellements, plutôt si, les français vivent encore au moyen âge. D’autres pays ont voté le mariage pour tous, qu’est ce que cela change pour les hétéros, rien.
    Merci à Caroline de continuer dans le combat.
    J’espère de tout coeur que ce mariage pour tous va passer. Par contre j’ai lu ce matin que si ce texte passait qu’un responsable de l’UMP ferait tout pour l’abroger.
    Sont fous ces gaulois, je comprends pourquoi beaucoup de jeunes veulent s’expatrier, pas de boulot, mentalité d’une autre époque, les gays qui seront bientôt considérés comme des monstres. Que faire dans un pays à la mentalité bornée.
    Bon allez vaut mieux oublier pour un moment que je suis français, je vais me plonger dans un bon livre, en français….

    J’aime

  6. Courage Caroline… Et merci pour tous ! En effet, affirmer ses convictions n’est pas toujours facile, on a toujours affaire à des détracteurs, ce qui est en soit normal dans un débat démocratique, mais quand on voit toute cette haine, ces menaces … Ce sont les armes habituelles des fascistes et autres « obscurentistes ».

    J’aime

Les commentaires sont fermés.