Ma Semaine sainte

Retour sur une semaine de débats parfois irrationnels ayant accompagné la venue du pape en France.

Défendre un livre d’enquête critique sur l’évolution rétrograde du Vatican et les choix du pape, alors que le président de la République lui-même a décidé de faire de la venue de Benoît XVI un moment de communion nationale sur un mode révérencieux, vous expose inévitablement au reproche de « casser l’ambiance ». Plus le pape approche, plus le gouvernement invite le pays a s’enivrer de foi et de vin de messe, plus les plateaux radios et télés se garnissent de cléricaux et de journalistes ouvertement papistes, et plus le débat public vole bas.

Avant son arrivée, ils minimisent le caractère conservateur de Benoît XVI. Pendant la visite, c’est carrément le garde-à-vous général. D’autant qu’au lieu de faire marcher leur esprit critique, sept cent intellectuels sont convoqués aux Bernardins pour écouter Benoît XVI, dans un silence religieux. Visiblement impressionnés par le decorum et la mise en scène, ravis aussi d’avoir vu voir la « star » de près, aucun n’ose faire remarquer que, sous couvert d’une conférence, ils ont enduré un véritable sermon — dont l’objectif fût de conclure devant eux que la recherche de la foi fondait la culture chrétienne et que le positivisme sans la foi menait inévitablement à la destruction de la culture.
Triste spectacle d’une France intellectuelle au pas, à l’exception de quelques irréductibles, immédiatement traités d’esprits fermés, voire d’« intégristes de la laïcité ».

Sur Arte, un journaliste demande à Amélie Nothomb ce qu’elle pense de Benoît XVI. La réponse est cruelle : « je n’aurais jamais imaginé pouvoir regretter le précédent pape ! ». A la fin de l’enregistrement, un membre de cette émission culturelle vient la prévenir : cette phrase ne sera sûrement pas diffusée. Miracle, le blasphème est finalement passé. Mais la mise en garde en dit long sur le climat révérencieux qui règne dans certaines rédactions.

A la fin de la visite papale, galvanisés par trois jours de sermons et d’homélie, mais surtout par le mot d’ordre de « laïcité positive », les porte-voix du catholicisme se lâchent comme jamais. Sans même faire l’effort de déguiser leur foi en raison.

Les journalistes de La Croix et de La Vie, jadis capables de critiques envers Ratzinger, jouent les cerbères contre tout journaliste osant émettre un bémol au sujet de Benoît XVI. Dans Le Figaro, on célèbre sans retenue la « révélation Benoît XVI ». Etienne de Montety décide à lui seul qu’aucune parole critique n’est plus légitime : « On sourit en relisant les commentaires alarmistes qui accueillirent Benoît XVI la semaine dernière ». François Simon enfonce le clou dans Ouest France, le quotidien régional le plus catholique de France : « La France attendait un pape sévère comme un Père fouettard, elle a reçu un pape souriant et exigeant ».

Le registre de vocabulaire est intéressant. Parmi les « arguments » entendus, le pape ne serait pas « réactionnaire »… parce qu’il a « souri », qu’il a les « yeux clairs », qu’il a « une voix douce ». Sur LCI, face à Fiammetta Venner, un sociologue des religions a même nié toute tentation conservatrice en rappelant que Benoît XVI avait écrit une encyclique intitulée « Dieu est amour ». Ainsi tant que le nouveau pape ne tire pas sur la foule et ne publie pas une encyclique « Dieu = haine », il semble déraisonnable de penser qu’il est conservateur. Sur la Chaîne parlementaire, toujours face à Fiammetta Venner, un catholique fervent insiste : il connaît un jeune trisomique qui le trouve « beau ». C’est donc confirmé, la foi est encore plus aveugle que l’amour.

Toujours pour accréditer l’idée d’une « révélation », les commentateurs et les journalistes croyants n’hésitent grossir le « succès populaire » de Benoît XVI en additionnant les personnes venues le voir à Paris (260 000) et à Lourdes (120 000), alors qu’il s’agit souvent des mêmes, parfois de visiteurs étrangers. Au final, Benoît XVI a fait déplacer moins de monde que Jean-Paul II, et même moins de monde que la Lesbian and Gay pride, laquelle a pourtant lieu chaque année ! Avec plus de chars, mais moins de personnes déguisées.

Caroline Fourest