Quand on a grandi en Provence, c’est un souvenir d’enfance qui sent la mousse, la joie d’aller en forêt avec ses parents pour la dégrafer délicatement de la terre, le bonheur d’aller au marché aux santons pour acheter un nouveau personnage, de l’installer dans une scène de village sur la cheminée… Oui, les crèches sont un beau moment de partage. Mais, à partir du moment où elles mettent en scène la Nativité, la naissance du petit Jésus, elles n’ont rien à faire dans le hall d’une mairie ou d’un conseil départemental. Vous n’y voyez rien de grave ? Vous trouvez que l’on s’agace pour rien, qu’il y a plus urgent ? Bien sûr qu’il y a plus urgent.
Mais, alors, ne dites plus jamais que vous défendez la laïcité. Car l’installation de ces crèches de la Nativité dans des maisons communes de la République n’a rien à voir avec la phobie ridicule des écologistes pour les sapins de Noël, ce symbole païen devenu culturel. Elles contreviennent totalement, très clairement, à la loi de 1905 et à son article 28 : « Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. »« Éric Ciotti s’est-il seulement glissé deux secondes dans la peau d’un professeur dans la Seine-Saint-Denis chargé de convaincre des élèves que, non, la laïcité n’est pas « islamophobe », qu’il n’existe aucun « deux poids, deux mesures », que, bien sûr, elle vaut pour toutes les religions… ? »
C’est un équilibre centenaire, pensé au trébuchet, conquis de haute lutte, mais aussi le respect de la loi que des maires et des élus piétinent sans scrupule lorsqu’ils convient le petit Jésus, Joseph et Marie à l’intérieur de nos maisons communes. Tout ça pour grappiller des voix et se poser en Charles Martel. « Je défends nos traditions et nos racines chrétiennes ! »se gargarise Éric Ciotti.
Irresponsable. Comment défend-on, en effet, la laïcité et l’autorité de la République le reste de l’année si tout est permis à Noël au nom de l’« identité chrétienne » ? Monsieur Ciotti est certain de régaler son public de retraités des Alpes-Maritimes avec de telles sorties. S’est-il seulement glissé deux secondes dans la peau d’un professeur dans la Seine-Saint-Denis chargé de convaincre des élèves que, non, la laïcité n’est pas « islamophobe », qu’il n’existe aucun « deux poids, deux mesures », que, bien sûr, elle vaut pour toutes les religions… Que peut-il répondre à un élève qui lui parlera des crèches de Ciotti ?
Ces provocations sont d’autant plus malsaines et inutiles qu’il existe une formule, toute simple, universaliste et non identitaire, pour faire vivre nos traditions régionales sans défaire la séparation. Installer des crèches représentant une scène de village, sans référence à la naissance de Jésus. Ce serait une solution. Mais certains politiques vivent mieux en créant des problèmes.
Caroline Fourest, Marianne, 24 décembre 2021
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