La gauche fracturée

La gauche ne pèse pas lourd dans cette présidentielle. Moins de 25 % quand on cumule tous ses candidats confettis, moins que les deux candidats d’extrême droite réunis. Les plus naïfs rêvent de sauver les meubles grâce à une primaire des primaires ou à une candidature messie. On crie à l’« union des gauches » pour conjurer le désastre annoncé. Mais comment se rassembler quand on n’est pas d’accord sur l’essentiel ? Nous ne parlons pas de l’indexation des salaires, ni même du traité de Maastricht, ni de sortir du nucléaire, mais d’une question non négociable, sur laquelle on ne peut transiger : la menace séparatiste. Collaborer ou résister ?

La réponse à cette question – que certains refusent même de poser – fracture chaque famille progressiste. Elle oppose les tenants d’une gauche plutôt républicaine, décidée à défendre la laïcité, aux partisans d’une gauche plutôt démocrate, aveugle et parfois complice.

À propos de ce clivage entre la priorité à la « démocratie » et la priorité à la « république » que Régis Debray a si bien pointé, il précise : « La démocratie, c’est ce qu’il reste de la République quand on éteint les Lumières. » C’est bien le sujet. Résister ou non aux anti-Lumières. Mille intellectuels de gauche, divers et variés, ont supplié leur camp de tenir tête, et depuis des années ! En ce qui me concerne, ce fut le cas dès 2005 avec la Tentation obscurantiste.

Au moindre sursaut, le messager se voit agoni d’injures par la gauche du déni. Celle qui, contrairement à Camus ou à Péguy, n’a ni le courage de dire ni celui de voir. Pensez-vous qu’elle se serait excusée après les attentats ? Ce fut le contraire. Elle s’est déchaînée. Une lâcheté dévastatrice.« Les électeurs de gauche inquiets de ces dérives se rabattent vers le centre. Pour les faire revenir, il faudrait un Parti socialiste qui cesse de tendre la main aux pires des écologistes pro-islamistes. Un Parti communiste qui retrouve ses fondamentaux. »

L’union des gauches n’est pas rendue impossible par la bataille des ego, elle l’est à cause de ce clivage fondamental, vital, entre deux gauches qui se détestent pour une bonne raison. Cette fracture, Manuel Valls a osé la nommer en parlant de « deux gauches irréconciliables ». Nous étions en 2016. La pique visait le courant Ensemble qui, après avoir nié les viols à Cologne, venait de tenir un meeting « Ni Charlie ni Paris » avec Tariq Ramadan… Que n’a-t-on entendu pour cette semonce ? Une avalanche de procès d’intention en fascisme.

On connaît la suite. Le Parti socialiste s’est jeté dans les bras de « Monsieur 6 % ». On ne l’a plus revu depuis. Ni lui ni le PS. Les électeurs de gauche inquiets de ces dérives se rabattent vers le centre. Pour les faire revenir, il faudrait une union des gauches républicaines. Un Parti socialiste qui cesse de tendre la main aux pires des écologistes pro-islamistes. Un Parti communiste qui retrouve ses fondamentaux. Et un Parti radical de gauche, historiquement bien cortiqué sur ces sujets, qui retrouve des couleurs pour faire la jonction. Cela fait beaucoup de conditions pour 2022.

Caroline Fourest, Marianne, 17/12/2021