Il y a quelques années, quand une femme osait confier du bout des lèvres avoir été agressée, on lui conseillait de se taire. Elle serait déchiquetée, la plainte classée, et le violeur relaxé. C’est toujours le cas, en vérité. Mais, au moins, les victimes sont écoutées. Faut-il pour autant en faire une « affaire » journalistique, politique, à chaque accusation portée ? C’est le nouveau dilemme ouvert par #MeToo.
Chaque semaine, désormais, nous sommes sommés de juger des hommes dont tout le monde dit que « tout le monde savait », mais dont nous ne savons rien en vérité. Si l’on pense appartenir au camp du bien, la réponse est facile. Il suffit de dire que les accusatrices ont toujours raison. Si l’on croit à la complexité, au devoir d’être juste, l’enfer s’ouvre sous nos pieds. Car comment se faire une idée sans enquêter, à charge et à décharge, pendant des mois, comme vient de le faire « Envoyé spécial » à propos de Nicolas Hulot ?« Cela ne veut pas dire que toute notre culture incite au viol. Notre loi tente de le combattre. Cette nuance échappe aux plus radicales, surtout si elles font de la politique. Dans leur bouche, tout devient « culture du viol », tout est forcément « systémique ». »
La démonstration a le mérite d’être éclatante. Il est déjà rare de tomber sur une affabulatrice prête à subir la foudre pour accuser un homme puissant. Il paraît peu probable que plusieurs femmes, d’âges et de milieux différents, qui ne se connaissaient pas avant de parler, rapportent avec autant de détails des faits ne contenant pas la moindre vérité. Si c’est bien une forme de « tribunal médiatique », il n’est pas volé. Des faits aussi graves et nombreux, répétitifs, méritent d’être exposés à partir du moment où ils ne visaient pas qu’un homme, mais un climat, un environnement, favorisant l’impunité, et donc le viol.
C’est le cas lorsque des prêtres, des prédicateurs ou des animateurs célèbres, se croient tout permis, parce que leur entourage et leurs supérieurs leur passent tout, depuis des années. Ici, l’expression « culture du viol » est justifiée, même si c’est un raccourci. Elle désigne cette culture de l’impunité qui permet à un homme de violer les employées ou les fans qu’on lui sert comme des proies sur un plateau. Cela ne veut pas dire que toute notre culture incite au viol. Elle n’en fait plus l’apologie. Notre loi tente de le combattre.
Cette nuance échappe aux plus radicales, surtout si elles font de la politique. Dans leur bouche, tout devient « culture du viol », tout est forcément « systémique », et il faudrait dégager le moindre de leur opposant, et même leurs collègues, au moindre soupçon.
À moins de vouloir exiger des femmes qu’elles renoncent à toute ambition pour rester « pures », ce n’est pas à elles d’être blâmées parce qu’elles se retrouvent à travailler avec des hommes puissants qui abusent de leur pouvoir. C’est à eux d’être jugés.
La qualité de notre conversation publique exige de ne pas tomber dans deux excès : le silence et l’arbitraire. L’arbitraire, c’est la loi de celui qui crie le plus fort. Le silence, c’est déjà la loi du plus fort. Nous n’y retournerons jamais.
Caroline Fourest, Marianne, 3 décembre 2021
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