Des féministes contre le néo-féminisme

À force de focaliser sur les néoféministes et leurs travers, on finit par ne plus voir les féministes sans préfixe. Celles qui croient vraiment à l’égalité, universelle et non à géométrie variable. Celles qui exigent une table plus grande et non le siège de l’autre. Elles sont nombreuses, et pas si vieilles, mais moins connues qu’une poignée d’influenceuses ou de politiciennes récemment converties. Ces derniers mois, on les redécouvre enfin grâce à la bataille contre le néoféminisme. On pense au livre de Martine Storti, Pour un féminisme universel (Seuil), à celui de Fatiha Agag-Boudjahlat, Combattre le voilement (Cerf), et à deux autres voix ayant récemment pris la plume.

« Leurs intimidations se déguisent alors en rébellion moderne et « intersectionnelle » pour cacher en réalité une vieille injonction patriarcale : sois pute ou voilée. »

Dans la Paix des sexes (l’Observatoire), Tristane Banon s’attaque de front au pseudo-féminisme et à la tentation victimaire. Celle que beaucoup ont découverte en frêle victime de Dominique Strauss-Kahn sort du silence par ces mots : « Sur l’échiquier victimaire, je reste une référence. Je suis un cas d’école. Mon histoire valide tous les excès, je suis devenue le bras armé d’un combat qui refuse toute nuance, je suis l’arme d’une guerre qui n’est pas la mienne. » Sa guerre à elle consiste à ferrailler contre les agressions sexuelles, à écouter les victimes, sans confondre la revanche, la morale et la justice.

Un manifeste qui demande du cran et de la lucidité quand on sait ce qu’elle a subi, les moqueries et la meute, pour avoir parlé avant #MeToo. Redevenue sujet de son histoire, Banon décline avec panache le strapontin de « victime à vie » pour réclamer la seule égalité. Déterminée mais nuancée, elle pointe le manque de soutien à Mila, défend la présomption d’innocence, refuse de classer en féminicide un meurtre qui n’a rien à voir avec le sexe de la victime, fustige le voile comme mode, la tentation du puritanisme, et la « culture de l’annulation ».

Des alertes qui résonnent chez une autre combattante, Christine Le Doaré, moins connue, mais qui se bat depuis des années contre le sexisme et contre l’homophobie. Nous avons mené la grande bataille pour le pacs ensemble, moi présidente du Centre gay et lesbien et elle de SOS homophobie.

Son livre, édifiant, pointe avec tristesse les multiples Fractures (éditions Double ponctuation) qui divisent aujourd’hui le mouvement féministe et LGBTQIA +, devenu si long qu’on ne le prononce plus. Notamment sur la prostitution, la question trans et le voile, où l’approche féministe universelle bouscule certains réseaux, religieux ou mafieux, nichés au sein des minorités. Leurs intimidations se déguisent alors en rébellion moderne et « intersectionnelle » pour cacher en réalité une vieille injonction patriarcale : sois pute ou voilée. Encore une preuve que l’on ne naît pas victime ou bourreau. Et qu’un minoritaire peut cacher un dominant comme un autre.

Caroline Fourest, Marianne, 12/11/2011