Toujours moins de Samuel Paty

Samuel Paty manque avant tout à sa famille et à ses proches. Il manque aussi à ses élèves, à l’Éducation nationale, au pays, à cette République qui tient debout et en un seul morceau grâce à des enseignants courageux. Dans un monde idéal, les hussards noirs éduquent et rassemblent, forgent l’esprit critique et sculptent des citoyens. Des êtres capables de dépasser leurs préjugés et de transcender leurs appartenances, identitaires ou familiales, pour apprendre à raisonner.

L’idéal ne peut pas tout surmonter, ni faire des miracles. Mais son désir nous guide. Que reste-t-il de cette ambition ? Un corps sans mouvement. Et une tête à côté. Qui les a « séparés » ? Le terroriste qui a tranché celle-là ; les obscurantistes qui lui ont fourni un couteau de boucher ; la meute qui a désigné l’esprit critique pour cible ; et tous ceux qui exigent, à coups de « mais », de ne plus penser, de ne plus provoquer, de ne pas offenser, pour ne pas les « mettre en danger ».

Comment recoudre ? Le défi est autrement plus difficile que sous la IIIe République, où la figure de l’instituteur était respectée et pouvait user de son autorité pour réconcilier les « deux France », républicaine et catholique. En Ve République 2.0, la bataille se joue sur mille fronts. Avant de transmettre le moindre savoir, les enseignants doivent se battre pour imposer le calme et la concentration.

L’instituteur n’est plus si respecté. Qu’un élève l’insulte, le frappe ou le bouscule, et ses camarades rient. Ces élèves passant plus de temps sur leur smartphone qu’en classe, le moindre zozo numérique ou la moindre vidéo choc aura le dernier mot. Le nombre de like l’emportant sur le savoir, le faux sur le vrai, l’influenceur remplace l’instituteur. Et, en prime, il lui arrive de mieux gagner sa vie ! Comment lutter ?« Malgré la fatigue et la peur, malgré cette pandémie qui a creusé les difficultés, ce corps déchiré ne reprendra pas l’ascendant sans aller de l’avant. »

En allant à contre-courant. En assumant, fièrement, le rôle de l’école républicaine, qui n’est pas une garderie d’enfants, ni Snapchat. Mais le temple du savoir et du respect. En musclant le temps d’apprentissage consacré à l’histoire, à la philosophie et à la dialectique. Leurs téléphones éteints, les élèves doivent comprendre que cette discipline intellectuelle, la capacité d’écouter un autre point de vue pour mieux débattre, leur servira toute leur vie, au travail, en famille, comme sur les réseaux sociaux.

Cela suppose de revaloriser le métier des enseignants, de mieux les payer, mais aussi de les protéger – des menaces, du chantage, des intimidations, et même de la lâcheté de certains collègues. Mais aussi de remettre le corps enseignant en mouvement. De repenser sa façon de transmettre et de renforcer sa formation. Malgré la fatigue et la peur, malgré cette pandémie qui a creusé les difficultés, ce corps déchiré ne reprendra pas l’ascendant sans aller de l’avant.

Caroline Fourest, Marianne, 15/10/2021