Comme pour toute police, surtout privée, il existe un revers à ce début de régulation d’internet : le risque de bavures.
Les partisans de l’ordre autoritaire perçoivent bien l’utilité de la police dans la vie réelle. Les mêmes se mettent à jeter des pavés si l’on ose mettre un peu d’ordre, des panneaux signalétiques et quelques radars dans la vie virtuelle. Il en faut pourtant. L’ensauvagement de nos vies vient en partie de ce far west numérique, sans foi ni loi, où les plus toxiques font passer le vrai pour du faux et l’intimidation pour de la démocratie.
Les nouveaux maîtres du monde 2.0 ont tardé à réguler. Après la pandémie et tous les excès de Donald Trump, le plus nuisible des trolls, Twitter s’est enfin décidé à signaler les véritables infox, essentiellement à propos du coronavirus. Il a fallu cette initiative et une immense pression pour que Facebook se mette enfin à signaler des contenus trompeurs. Comme pour toute police, surtout privée, il existe un revers à ce début de régulation : le risque de bavures.
Ne pouvant surveiller tous les contenus, les plates-formes s’appuient sur les équipes de Fact Checking, le service de vérification factuelle des journaux établis. C’est ainsi qu’un post sur l’IVG de Jean-Pierre Denis, directeur de la rédaction de la Vie, s’est trouvé étiqueté « fausse nouvelle » par le service CheckNews de Libération, et donc censuré. Fondatrice de la revue ProChoix, je ne partage aucune de ses craintes concernant un amendement socialiste visant à élargir le droit à l’interruption médicale de grossesse à la « détresse psychosociale ». Mais son excès d’inquiétude relève de l’opinion.
Après maintes protestations, le service de Libé a partiellement corrigé le tir. Il maintient qu’il s’agit d’une « information partiellement fausse ». Ce qui reste infamant. À l’inverse, interpellé il y a quelques années pour savoir si le Secours islamique britannique pouvait être considéré comme une organisation terroriste, le service des Décodeurs du Monde a tenu à blanchir totalement cette ONG, sur la base d’éléments venant de sa propagande, en réduisant ce soupçon à une campagne d’extrême droite, tout en omettant de préciser qu’elle venait d’être classée terroriste par les Émirats arabes unis. Ce qui revient, pour le coup, à délivrer une « information partiellement fausse ».
C’est dire si les vérificateurs peuvent être subjectifs. Puisqu’ils sont humains. Comme dans la police et l’éducation, ce sont souvent les plus jeunes recrues qui s’y collent, avec parfois la main lourde et le cœur très à gauche en matière de « vérité ». Ce qui suffit aux conservateurs pour vouloir abolir toute police sur Internet. Souhaitons plutôt qu’elle soit mieux formée, plus équilibrée, et que tout le monde puisse exercer un recours en cas de signalement abusif. Comme dans une vraie démocratie.
Caroline Fourest
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