Statues déboulonnées : l’impasse des iconoclastes

Toutes les rebaptisations ne sont pas absurdes. Le pont qui traverse l’Alabama mériterait de porter le nom de John Lewis, ce héros des droits civiques qui manqua d’y perdre la vie lors d’une marche contre la ségrégation. Et non « Edmund Pettus », en hommage à ce sénateur confédéré d’Alabama soupçonné d’être l’un des grands dragons du Ku Klux Klan. Une pétition le demande. Ce ne serait que justice.

Il en va tout autrement quand il s’agit de détruire, sans concertation ni vote, des œuvres dans l’espace public. Aux États-Unis, au moins, on exige de déboulonner des statues de négriers et de confédérés. En France, les excités de la « cancel culture » s’en prennent à Victor Schœlcher !

Trois statues ont été attaquées en Martinique. La dernière a volé en éclats en pleine nuit. Les deux autres sont tombées un 22 mai, jour de l’abolition de l’esclavage, abolition qui lui doit tant. Aurait-on pu imaginer qu’un jour, deux siècles plus tard, des enfants nés de cette liberté danseraient sur son cadavre ?

« CE RACISTE DE VICTOR HUGO »

À les entendre, rien n’a changé depuis l’abolition. Ils le clament depuis leurs portables dernier cri. Une parodie d’antiracisme aussitôt promu par AJ+, la chaîne du Qatar et de l’esclavage moderne… Qui n’émeut guère ces justiciers.

Alexane et son amie préfèrent s’en prendre aux statues d’abolitionnistes, vécues comme des « insultes ». La même Alexane se vante d’avoir refusé de disserter sur « ce raciste de Victor Hugo » lors de son bac littéraire. On plaint ces professeurs chargés d’enseigner la littérature et l’histoire à la génération offensée.

On comprendrait qu’ils critiquent ce que les spécialistes de la question noire appellent le « schœlcherisme ». Réduire l’abolition au courage d’un député blanc, en oubliant les luttes menées par les esclaves eux-mêmes. Sauf que la Martinique érige justement, en ce moment, de nouvelles statues dédiées aux nègres marrons !

CHOISIR LA JUSTICE CONTRE LES SIENS

Pourquoi s’en prendre à Schœlcher, et le détester ? Parce qu’il est blanc ? On lui reproche d’avoir été colonialiste et d’avoir indemnisé les colons pour obtenir l’abolition. C’est pourtant la force de son parcours. Choisir la justice contre les siens, tout en trouvant un moyen pacifique de hâter leur reddition. « On ne peut détruire les vices de la servitude qu’en abolissant la servitude elle-même »,écrivait-il dans son manifeste pour « l’émancipation immédiate ». Les vices n’ont pas tous disparu.

Il reste des combats à mener dans ces territoires. La vie chère, les fruits et légumes qui partent en avion avant de profiter aux habitants, l’envoi de professeurs mieux formés, la mentalité coloniale de certains békés… En dehors d’un quart d’heure médiatique, déboulonner des statues n’apportera rien à ces iconoclastes. Pour une raison simple. On ne combat pas l’injustice par l’injustice.

Caroline Fourest

Marianne