C’est un mot qu’on ne prononce guère, sauf pour la moquer ou pleurer. Elle a bien remporté quelques succès locaux aux municipales, surtout repeinte en vert, mais sur un malentendu, par peur de la fin du monde, faute d’adversaires sérieux ou d’électeurs. Elle manque d’oxygène.
Plus personne ne sait l’identifier. Personne n’a le courage de regarder ses fractures. Il le faudra bien si elle ne veut pas laisser le centre occuper la place du seul recours possible face à l’extrême droite.
Parlez de « deux gauches irréconciliables » et vous verrez la fureur s’abattre sur vous. C’est pourtant une réalité. Elle n’est pas nouvelle. Du temps de Jean Jaurès et de Jules Guesde, déjà, il était délicat de mettre dans un même parti les réformistes et les révolutionnaires, les internationalistes et les revanchards, les dreyfusards et les antisémites. Ces vieilles querelles ne sont pas éteintes. D’autres sillons se sont creusés.
VIEILLES QUERELLES ET NOUVEAUX SILLONS
Dans un long exposé sur Twitter, l’économiste Gilles Raveaud identifie trois clivages majeurs interdisant une victoire de la gauche s’ils sont « ignorés » : l’écologie, l’Europe et l’identité.
Les divergences sur l’écologie pourraient fondre comme l’Arctique. Qui nierait sa centralité ? La divergence tient à la méthode, à la question de la croissance. Pour réconcilier les classes populaires avec l’écologie, l’économie verte devra compenser les emplois détruits par la désindustrialisation et la crise. C’est loin d’être évident.
Le clivage sur l’Europe paraît plus surmontable. Il est moins vif qu’au moment du référendum de 2005. C’est peut-être l’un des effets du « monde d’après ». Il devient difficile de nier la nécessité de conserver une part de souveraineté, comme de nier les bienfaits d’une solidarité européenne, donc d’une souveraineté européenne. Ce clivage peut s’apaiser comme exploser, si les intérêts des États divergent.
CLIVAGES
Reste le clivage sur l’identité. De plus en plus visible et féroce. Le niveau lamentable de ces élections municipales n’en dit rien. La France insoumise a perdu, même quand elle présentait des candidats antilaïques et racialistes. EELV a gagné, malgré de nombreux candidats hautement problématiques. Un clientélisme antirépublicain à la fois grandissant et affolant. Mais, à part en Seine-Saint-Denis, grâce au livre enquête le Maire et les barbares (d’Ève Szeftel), peu de villes ont tangué sur ces sujets. L’élection présidentielle, elle, se jouera sur fond de crise économique et identitaire.
À ce moment-là, les partis de gauche auront intérêt à s’éclaircir les idées. Ils ne pourront plus jouer sur les deux tableaux, décroissantistes et progressistes, europhobes et europhiles, racialistes et universalistes. La seule gauche en position de détrôner le centre sera celle qui dira non, clairement, aux dérives extrémistes.
Caroline Fourest
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