Zemmour, « Sony Gate », Closer et ce monde qui vient

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Au risque de décevoir les partisans d’Eric Zemmour, la grande affaire du moment n’est pas qu’un polémiste confondant liberté et incitation à la haine finisse par perdre l’une de ses très nombreuses tribunes dans un espace médiatique saturé par la violence verbale, l’anti-politiquement correct et le phrasé viril façon comptoir après un match de football. La démarche consistant à demander la tête d’un éditoraliste n’est guère sympathique ni saine. Le fait qu’une chaîne souhaite enfin élever le débat ou, à défaut, changer de programme n’est pas non plus un cas de censure. Cette parole faussement lucide et enragée a mille autres espaces pour s’exprimer, contrairement à la parole lucide mais nuancée qui a de moins en moins d’espace sur les plateaux de télévision.

J’ai moi-même perdu de nombreuses tribunes ces dernières années à la suite de campagnes de calomnies et de dénonciations en tous genres, sans avoir jamais songé à déporter quiconque, simplement pour avoir défendu le principe de laïcité et d’égalité. Les partisans de Tariq Ramadan me traitent d’ « «islamophobe » depuis 2004. Ceux de Poutine programment des chaînes de courriers pour demander ma tête au CSA. Les complotistes jurent qu’ils me feront virer pour « bidonnage » parce que je ne partage pas leurs thèses sur le 11 septembre. Il y a quelques années, un éditorialiste conseillant Nicolas Sarkozy refusait qu’on me reçoive sur le plateau d’une chaîne d’information continue. Le Front national et ses cadres, au plus haut niveau, ont exigé que je sois déprogrammée d’émissions sous peine de ne pas s’y rendre. Plusieurs animateurs ont cédé à ce chantage. C’est la vie des médias et des éditorialistes. Le fait qu’une émission s’arrête au bout de dix ans n’est pas un drame en soi. La question est de savoir si toutes les nuances sont représentées. Force est de constater que les nuances n’ont plus guère droit de cité et que les combats de coq entre postures extrêmes, si possibles les plus droitières possibles, sont surreprésentées. Une tribune de moins pour Eric Zemmour ne changera pas ce déséquilibre. Surtout s’il perd la seule où il avait au moins un contradicteur.

L’intimidation sans frontières

Bien le plus grave pour nos libertés est l’affaire du « Sony gate ». Cette cyber attaque ayant mis à genou un géant de l’industrie du film, au point de le dissuader la sortie d’une comédie burlesque sur le dictateur Nord-Coréen… Qui est derrière ? On ne le sait pas avec certitude. L’administration américaine semble bien pencher pour la piste Nord-Coréenne. Le code des hackers aurait déjà été utilisé pour attaquer la Corée du Sud. Pyongyang nie. Sans « parler d’acte de guerre », ce qui serait très lourd de conséquence, Barack Obama prend cette affaire très au sérieux et promet une riposte graduée. Les attaques d’individus terroristes et ces cyber attaques sont bel et bien le nouveau front de la guerre de demain.

 

Un bon point pour Hillary Clinton, qui a théorisé la façon dont il faut riposter. La mauvaise nouvelle, c’est que les régimes autoritaires ont une longueur d’avance sur les démocraties, appelée à marquer l’avenir des relations internationales. Pour le pire et le meilleur. Le meilleur quand ce mode d’attaque permettra d’éviter de vraies guerres. Le pire lorsque des États autoritaires pourront détruire à distance un film et pourquoi pas demain, un journal ou la réputation de n’importe quel dissident dans n’importe quel autre pays si cela leur chante…

Chantage et défaites

La meilleure réponse sera numérique et graduée. En attendant, la défaite est culturelle. Le plus grave dans cette affaire n’est pas que des hackers aient pu vider les ordinateurs de Sony et les menacer de montrer au monde entier leur correspondance privée, le dernier scénario de James Bond ou peut-être leurs comptes. Le plus grave est d’avoir cédé, d’avoir déprogrammé ce film : « The interview ». Georges Clooney a bien essayé de mobiliser Hollywood pour protester contre cette lâcheté, mais personne n’a voulu signer sa pétition. Les menaces proférées par les hackers ont littéralement terrorisé l’industrie cinématographique, depuis ses producteurs jusqu’aux salles ayant refusé de diffuser le film.

Dans les années 80, il fallait poser une bombe comme l’ont fait des intégristes chrétiens contre le film de Scorsese pour obtenir la déprogrammation de La dernière Tentation du Christ. Maintenant, une cyber attaque suffit. C’est inquiétant. L’intimidation ne connaît plus de frontières et voyage plus vite qu’une campagne internationale.

Grâce aux nouvelles technologies, le meilleur d’entre nous peut déclencher une révolution, briser la censure et révéler de vrais scandales d’État comme l’espionnage massif de citoyens par les États-Unis. Grâce à leur démocratisation, le pire peut venir du pire des États ou d’un simple individu déterminé à aspirer des données personnelles et à les faire connaître de tous. Le viol de l’intime est à portée de main.

L’intime menacé

Par-delà, le risque d’espionnage militaire et économique, par-delà le danger de la censure, nos vies à tous sont plus exposées. D’où peut-être le malaise ressenti quand Closer se met à animer le débat politique. Qu’il s’agisse de révélations concernant François Hollande ou de Florian Philippot. En terre égalitaire, l’homosexualité n’est pas plus privée que l’hétérosexualité et n’a pas à l’être. D’une certaine façon, il est même plus violent de révéler la liaison entre François Hollande et Julie Gayet qu’entre Florian Philippot et un journaliste. François Hollande ne fait pas la morale sur la vie sexuelle des autres. La liberté de sa vie est conforme à sa parole politique. Là où la vie personnelle d’un cadre du Front national détonne par rapport aux positions de son parti contre le mariage pour tous ou les médias.

On reste navrés d’avoir à débattre de politique entre « grandes gueules » et ersatz de paparazzi. D’être tous devenus, malgré nous, les paparazzis de nos contemporains, et de perdre, chaque jour un peu plus, le respect de la vie privée.

Comme nous sommes une espèce résistante, nous allons nous habituer et muter. Jouer carte sur table pour n’offrir aucune prise à d’éventuelles adversaires en cas de destin public. Apprendre à protéger et se débrancher pour ceux qui le peuvent. L’intime ne va pas mourir mais devenir la plus précieuse des denrées.

Chronique à retrouver tous les lundi sur France culture à 7H18.

7 réflexions sur “Zemmour, « Sony Gate », Closer et ce monde qui vient

  1. Excellent article. J’ajouterais juste que la décision de Sony de diffuser le film sur différentes plateforme numérique a permis de briser cette censure imposée. Finalement, comme souvent en cas d’attaques, on parle encore plus de ce film…

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  2. écrivaine …. ecrivaine et journaliste bande de Tartuffes de France Culture on a des ovaires ….

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  3. Tout a été dit, et d’une façon claire et posée, comme d’habitude. Encore une fois, merci.

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  4. Faut il laisser des incendiaire libre de mettre le feu ? Si la machine à remonter le temps existait,laisserions nous Hitler la liberté de parole ? Je ne sais pas où la liberté commence et ni où elle s arrete.Mais une chose est sûre les mots peuvent tuer. Comment pérenniser cette république avec ces démagogues qui réfutent son existence tout en usant des libertés démocratiques qu’elle leur donne.

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  5. Je pense vraiment que vous devriez débattre avec Médine sur cette chanson. Je vous respecte tout les deux et je pense qu’il s’agit ici d’une erreur d’interprétation des ses propos. Médine est loin d’être un réactionnaire bien au contraire cela fait 10 ans qu’il se bat contre l’extrémisme religieux.

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  6. Caroline Fourest, un esprit comme je les aime. Je m’en étais éloigné mais j’y suis revenu depuis quelques mois. C’est mon côté non féministe qui me détourne parfois de certains travers féminins…

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